Le Prix 2012 de la Division de Chimie de Coordination récompense cette année Yves Journaux, Directeur de recherche à l’Institut Parisien de Chimie Moléculaire de l’UPMC (UMR7201) à Paris.

Yves Journaux a débuté sa carrière à une époque pionnière du magnétisme moléculaire au cours de laquelle ont été synthétisées de nombreuses molécules modèles comprenant seulement deux ions magnétiques. Cela a permis d’aller très loin dans l’interprétation théorique des propriétés magnétiques de ces molécules et de comprendre plus finement les facteurs conduisant aux différents types d’interaction. C’est ce socle de connaissances théoriques qui a permis les développements récents en magnétisme moléculaire (aimants moléculaires, molécules aimants, chaînes aimants). C’est dans ce contexte, qu’après des études de chimie-physique à l’Université Paris Sud Orsay, Yves Journaux intègre en 1975 le laboratoire de Spectrochimie des Éléments de Transition créé la même année par le Pr Olivier Kahn. Il y prépare un DEA, puis une thèse d’université sur les propriétés magnétiques de complexes dinucléaires du nickel soutenue en 1978. En 1979, il est embauché au CNRS comme Attaché de Recherche et affecté au même laboratoire où il prépare une thèse d’état intitulée «Symétrie Orbitalaire et Magnétisme Moléculaire» qu’il soutiendra en 1985. Les travaux de thèse d’Yves Journaux ont porté sur la relation entre la symétrie des orbitales contenant les électrons célibataires et les propriétés magnétiques des complexes polynucléaires. L’un des objectifs de ce travail était de synthétiser des composés modèles ayant des propriétés magnétiques prévisibles, démontrant ainsi la pertinence de l’approche théorique développée par O. Kahn pour décrire l’interaction d’échange. Pour illustrer ce modèle, Yves Journaux a synthétisé les composés hétérométalliques CuVO, CuCr et CuFe. Les deux premiers composés présentent un couplage ferromagnétique par «design», car les orbitales décrivant les électrons célibataires des ions cuivre et vanadyle ou chrome possèdent des symétries incompatibles (composés à orbitales orthogonales), tandis que le dernier présente un couplage antiferromagnétique du fait du recouvrement entre les orbitales magnétiques des ions cuivre et fer (JACS 1982, 104, 2165 et 1983, 105, 7585). C’est à la même époque qu’il montre, avec J.J. Girerd et O. Kahn, l’équivalence des modèles théoriques d’Anderson et d’Hoffmann utilisant des orbitales orthogonales et celui de Kahn utilisant des orbitales qui se recouvrent (Chem. Phys. Lett. 1981, 82, 534). Peu après sa thèse, il montre avec Y. Pei l’importance de la topologie pour obtenir des molécules à haut-spin dans les complexes polynucléaires en élaborant des molécules possédant un état fondamental S=9/2, un record à l’époque (Chem. Commun. 1986, 1300; Inorg. Chem. 1989, 28, 100 et 1990, 29, 3967). Il participe également à cette période à la quête d’aimants à précurseurs moléculaires qui a été le sujet majeur en magnétisme moléculaire dans les années 87-95, en obtenant le premier «aimant moléculaire» présentant une température d’ordre supérieure à 10K (JACS 1989, 111, 5739).

En 1987, il part au Royaume-Uni pour effectuer un stage post-doctoral au Clarendon Laboratory à Oxford où il travaille sur l’Effet Hall Quantique Fractionnaire et s’initie à l’utilisation de très hauts champs magnétiques et de la cryogénie très basse température.

A son retour de post-doc, il reprend ses travaux sur le magnétisme moléculaire avec plusieurs axes de recherche impliquant: l’utilisation de ligands plus élaborés (Inorg. Chem. 1996, 35, 4170; EurJIC 2000, 951 et 2002, 323), la synthèse de polymères de coordination 2D et 3D (ICA 1998, 278, 159; C.R. Chimie 2001, 4, 207), et la stabilisation des hauts degrés d’oxydation des ions métalliques avec des ligands oxamates et oxamides (Dalton Trans. 1998, 781; Chem. Commun. 1998, 989).

Les années 2000 constituent un tournant dans la carrière d’Yves Journaux avec l’émergence de nouvelles thématiques et l’utilisation des concepts de la chimie métallosupramoléculaire pour élaborer des composés magnétiques. Tout d’abord, il commence à s’intéresser avec A. Aukauloo et X. Ottenwaelder à la non-innocence des ligands avec l’objectif de réaliser des interrupteurs magnétiques contrôlés par électrochimie (EurJIC 1999, 1067; Dalton Trans. 2005, 2516 et 2527). Cette voie de recherche se perpétue actuellement avec l’élaboration de composés hybrides formés à partir de complexes métalliques et d’oligomères conducteurs (Dalton Trans. 2010, 39, 4751). Par ailleurs, il s’investit de plus en plus dans la modélisation des propriétés magnétiques des systèmes complexes. En effet, les années 2000 voient l’apparition dans la littérature de nombreux complexes polynucléaires de haute nucléarité et de réseaux magnétiques aux topologies inédites où il est impossible, du fait de la taille des matrices à considérer, de modéliser les propriétés magnétiques y compris en utilisant les ordinateurs les plus puissants. Pour surmonter cette difficulté, Yves Journaux a développé avec J. Cano la simulation des propriétés magnétiques de ces systèmes complexes par calcul Monte-Carlo Classique (Inorg. Chem. 2001, 40, 188 et 3900). Mais la dernière période a surtout été marquée par l’utilisation par Yves Journaux de nouveaux ligands oxamides et en particulier, de ligands polytopiques avec des groupements oxamates en ortho ou en para de cycle benzénique qui lui ont permis d’obtenir un nombre considérable de composés originaux (Dalton Trans. 2008, 2780; Coord. Chem. Rev. 2010, 254, 2281). Il a bien montré que ce type de ligands s’approche de l’idéal pour le magnétochimiste car il s’auto-assemble avec les ions métalliques pour former des complexes polynucléaires métallacyclophanes ou des mésocates capables de jouer le rôle de ligand vis-à-vis d’autres ions métalliques. Mais également et c’est capital pour le magnétochimiste, il a montré que ce type de ligand est capable de transmettre l’interaction entre les ions métalliques et tout particulièrement une interaction ferromagnétique par mécanisme de polarisation de spin lorsque les groupements oxamates sont en position ortho du cycle benzénique (Angew. Chem. 2001, 40, 3039). Parmi tous les résultats obtenus avec cette nouvelle famille de ligands, il faut citer l’obtention de complexes hexa, octa et nonanucléaires aux propriétés magnétiques prévisibles (Inorg. Chem. 2004, 43, 2768 et 7594; Angew. Chem. 2004, 43, 850), mais également la formation de réseaux 2D et 3D présentant un ordre magnétique et comportant de larges canaux (Angew. Chem. 2008, 47, 4211; Chem. Commun. 2012, 48, 3539; Chem.-Eur. J. 2012, 18, 1608).

Avec d’autres ligands oxamates présentant un fort encombrement stérique, Yves Journaux a obtenu une des premières chaînes aimant (Adv. Mater. 2004, 16, 1597; Chem. Eur. J. 2007, 13, 2054), et plus récemment la première chaîne aimant chirale (Chem. Commun. 2010, 46, 2322; Chem. Eur. J. 2011, 17, 12482).

La plupart de la chimie développée par Yves Journaux est basé sur l’utilisation de ligands oxamides. Elle a été initiée à Orsay et elle a essaimé à l’université de Valence (Espagne) grâce à plusieurs post-docteurs qu’il a encadrés depuis 1986. Cette collaboration avec les Profs. F. Lloret et M. Julve, et les Drs. R. Ruiz et E. Pardo continue et se déroule maintenant dans le cadre d’un LEA de l’UPMC animé par Y. Journaux entre l’IPCM et l’ICMol de l’Université de Valence.

Les activités de recherche de Yves Journaux se sont traduites par 4 chapitres de livre et de 135 publications citées environ 5000 fois. En dehors de ses activités de recherche, Yves Journaux s’est investi dans la gestion de la recherche en étant chargé de mission auprès du département chimie du CNRS pour la section 14 entre 2000 et 2005, puis directeur du laboratoire CIM2 (UMR 7071) à l’UPMC entre 2005 et 2008. Il est actuellement responsable de l’équipe Matériaux Magnétiques Moléculaires et Absorption X (MMMAX) à l’IPCM.