Introduction
La proposition de consacrer un numéro spécial à la catalyse en biologie a été émise au début de l’année 2001 par la rédaction qui m’a proposé d’en assurer la coordination. J’ai tout de suite accepté, mais cet empressement a cédé la place à une certaine inquiétude en réalisant la difficulté à définir les contours d’un tel numéro. Après mûres réflexions et discussions avec plusieurs collègues impliqués dans différents aspects de la catalyse en biologie, nous avons choisi de centrer ce premier «cahier» sur la catalyse enzymatique au sens strict du terme, c’est-à-dire celle qu’effectuent les protéines. La réunion des contributions qui suivent sous la forme de trois chapitres, Nouvelles activités enzymatiques et leur modulation, Bioconversions et Enzymes et environnement, respectivement coordonnés par Jean-Pierre Mahy, Robert Azerad et Jamal Ouazzani, est sans doute un peu artificielle puisque, comme le lecteur pourra le constater, un thème donné peut fort bien se retrouver dans l’un ou l’autre de ces chapitres selon l’optique dans laquelle on l’expose et les applications recherchées. Il nous est cependant apparu qu’une telle présentation illustrait bien les différentes facettes de la recherche actuelle dans ce domaine, en associant de nouvelles réactions aux applications que chacun d’entre nous peut en espérer dans la vie quotidienne.
Le numéro spécial «Quoi de neuf en catalyse~?» décrivait très récemment l’éventail impressionnant des applications de la catalyse chimique (L’Act. Chim., mai-juin 2002). L’objectif du présent cahier consacré à la catalyse enzymatique n’est pas d’opposer les performances décrites dans le précédent numéro à celles que réalisent les enzymes, ni de rejeter en bloc toute la chimie en la qualifiant de polluante, toxique et dangereuse. Il est d’abord d’informer nos collègues chimistes, peu familiers avec la biocatalyse, de la grande variété des réactions catalysées par ces macromolécules, des progrès réalisés dans la modulation de leurs activités et des applications actuelles ou potentielles. Que le lecteur ne se méprenne cependant pas~; il ne trouvera pas dans ce numéro spécial la liste exhaustive et détaillée des évolutions récentes de la catalyse enzymatique, mais plutôt un ensemble de contributions destinées à aiguiser sa curiosité.
Les millions d’années de l’évolution ont créé des milliers de micro-organismes contenant des enzymes capables de catalyser à peu près n’importe quelle réaction. La chimie mise en oeuvre par la Nature s’est orientée vers le développement de procédés sélectifs et efficaces opérant dans des conditions généralement douces et respectueuses de l’environnement. Les scientifiques d’aujourd’hui ont la capacité d’identifier de nouveaux organismes et les nouvelles enzymes qu’ils peuvent renfermer, puis de remodeler ces biocatalyseurs, en accélérant les processus naturels d’évolution, pour en améliorer les performances dans une direction déterminée. Instabilité et grande spécificité de substrat, tels sont les deux reproches adressés aux catalyseurs biologiques que sont les enzymes. La recherche de micro-organismes vivant en milieu extrême (température, acidité, pression, sels…) a déjà permis d’apporter un certain nombre de solutions au premier point. Quant à la spécificité de la réaction catalysée par la protéine, si elle reste contraignante du point de vue de la transformation chimique, elle pourra être modulée par l’utilisation de co-solvants, par le remodelage à façon de son site actif ou par la création ex nihilo d’une activité catalytique en utilisant la machinerie conçue pour la reconnaissance des éléments du non soi que sont les anticorps. On réalise de plus que l’organisation modulaire des enzymes (séparation, spécificité et catalyse, enzyme multisubstrats) peut constituer un énorme avantage dans la versatilité des synthèses grâce à la création, avec l’aide du génie génétique, d’un lego moléculaire. Ces différents aspects sont illustrés par les six contributions du premier chapitre. Les quatre contributions du second chapitre illustrent les applications des enzymes en biotechnologie. Qu’il s’agisse de chimie fine à l’échelle du laboratoire, du fonctionnement d’enzymes dans des conditions «hors normes», ou de production industrielle à l’échelle de centaines de tonnes, la transformation d’un substrat en produit par une enzyme isolée ou contenue dans un micro-organisme (notions regroupées sous le terme de bioconversion) constitue un outil de choix que l’industrie exploite depuis longtemps. Une démarche analogue est en cours dans l’utilisation des enzymes pour l’environnement comme en témoignent les contributions du troisième chapitre. La distinction entre les approches fondamentales de la catalyse enzymatique et ses approches appliquées est en passe de disparaître. L’utilisation des enzymes constitue en effet une puissante incitation pour la recherche de nouvelles réactions ou de nouveaux procédés permettant d’améliorer les catalyseurs existants, mais aussi pour la découverte, voire la création de nouvelles enzymes. Dans ce contexte, je ne peux qu’inciter mes jeunes collègues chimistes qui recherchent une voie scientifique innovante à utiliser leurs approches conceptuelles pour apporter leur contribution dans le domaine de la catalyse enzymatique.
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