Chimistes et physiciens : synergies et lacunes
La chimie et la physique sont sœurs. Je déteste voir un physicien parler d’un matériau sans connaître sa voie de synthèse, les impuretés ou les additifs qu’il contient, sa résistance aux agents extérieurs, sa tenue mécanique, et son prix~! Et de même, je suis convaincu qu’un chimiste, construisant une molécule, doit savoir beaucoup de choses sur les conditions dans lesquelles on la fera travailler –~qu’il s’agisse par exemple d’un polymère biodégradable ou d’un marqueur pour des souris transgéniques.
Dans certaines écoles «mixtes», on se donne du mal pour arriver à cette double culture, mais on y arrive seulement en partie. Les rapports entre physiciens et chimistes souffrent encore de graves lacunes, notamment au plan de l’enseignement.
• J’ai déjà écrit, dans ce même journal La chimie décourageante, L’Act. Chim., janvier-février 1995, p.~34., que certains enseignements de chimie me paraissaient parfois très indigents~:
- a) les premiers cours sur la liaison chimique (où le calcul l’emporte souvent trop sur les idées simples, comme les expose Hoffmann)~;
- b) le cours de thermodynamique chimique, où l’on insiste surtout sur des détails de protocole (les états standard) et peu sur les concepts (ex.~: la signification de l’entropie).
• Beaucoup de chimistes feront carrière dans des groupes tels que Saint-Gobain, Rhodia, TotalFina, Dupont, Procter et Gamble – groupes que je connais assez bien. Souvent, pour bien entrer dans l’activité de ces groupes, il faut avoir une culture détaillée en «matière molle»~: physico-chimie des polymères, des cristaux liquides, des colloïdes, des surfactants.
Or les cours correspondants sont extrêmement réduits dans les cursus de chimie et de physique de nos universités. Il y a là une lacune grave. Ce qui est souvent présent au niveau universitaire est une chimie physique consacrée aux phénomènes quantiques, aux spectroscopies, etc., mais totalement ignorante de la «matière molle». Nous souffrons aussi en France d’une certaine spécialisation du génie chimique. On n’y trouve pas toujours la variété de culture exhibée par les départements américains de Chemical Engineering.
Le secteur physique montre également des lacunes, que je regrette. La physique des liquides, par exemple, est souvent centrée sur les corrélations (statiques et dynamiques) mesurées aux neutrons sur des liquides simples. Elle ignore la science des solvants, et la science des réactions chimiques en phase liquide, qui sont pourtant de beaux sujets.
Nous sommes donc dans une situation pédagogique imparfaite –~malgré les efforts de certains enseignants pour combler des lacunes comme celles que j’ai mentionnées. Heureusement, des chercheurs actifs sautent au-dessus de ces barrières et les articles qui suivront tout au long de cette année en témoignent. Mais il faut poursuivre l’effort.
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