Redorer le blason de la chimie
La chimie n’a pas toujours bonne presse auprès des décideurs et de «Monsieur tout le monde». C’est le moins que l’on puisse dire. Selon les circonstances, la discipline est perçue avec les yeux de Chimène ou avec un regard distant, voire critique et suspicieux.
D’un côté, il y aurait une chimie «malsaine et dangereuse», qui explose, pollue, intoxique, rend malade et fait perdre des vies… bref~: un bouc émissaire idéal, source de tous les maux d’un monde hyperindustrialisé.
De l’autre, une chimie «propre et bienveillante», qui participe aux dépollutions et développement durable, embellit, redonne santé ou moral, anime les soirées festives à grands jeux de feu d’artifice…
bref : une image idyllique, source de tout progrès technologique au service de notre bien-être. De prime abord, expliquer l’image souvent brouillée de la chimie à travers cette double perception n’est pas chose aisée. N’y aurait-il pas à la fois une question de présentation objective des faits et un déficit d’explication ou de communication de la part des chimistes eux-mêmes~?
Prenons un premier exemple concret, assez révélateur de l’ambiguïté de la situation, celui de la toxine botulique produite par un bacille. Elle présente un réel danger, incomparablement plus élevé que celui du cyanure. Au rayon des armes bactériologiques, la substance est classée parmi les cinq produits les plus toxiques au monde~! De manière très surprenante, ce principe actif se vend bien. Il jouit d’une excellente réputation dans les journaux et magazines à grand tirage, donc auprès de lecteurs toujours férus de nouvelles sensations. Imaginez donc~! Injectée de manière répétitive au niveau du visage, la toxine affublée de toutes les vertus atténuerait les effets désastreux de rides disgracieuses… une élégante manière de rajeunir et de combattre efficacement les effets du temps. Du moins en apparence, car ses conséquences à long terme sur l’organisme restent méconnues et ne semblent pas préoccuper ou inquiéter outre mesure les apprentis sorciers et autres adeptes de produits «miracle».
Autre exemple tout aussi révélateur s’il en est, celui de l’industrie du nucléaire. Malgré son absence de pouvoir polluant en matière d’émission de gaz à effet de serre, ce secteur est toujours considéré comme dangereux par les défenseurs de la qualité de l’environnement. Les interrogations sur la gestion des déchets à long terme ne manquent pas. Elles sont légitimes et la chimie a son mot à dire. Pour compléter le tableau, de récents commentaires sur des événements impliquant les tours de refroidissement d’une usine dans le Nord de la France ont servi la cause de raisonnements indélicats et injustes, notamment en présentant la légionellose comme l’une des dernières inventions délétères de l’industrie chimique. Mais diable, comment clarifier l’image de la chimie~?
À l’heure où les derniers blocs de charbon viennent d’être extraits du puits de La~Houvre à Creutzwald en Moselle, à l’heure où le futur leader européen de l’industrie pharmaceutique est en train de se constituer, à l’heure où le rapport de l’Académie des sciences sur les nanosciences et les nanotechnologies est rendu publique, il semble souhaitable, voire primordial, que les chimistes communiquent plus avec nos concitoyens. Qu’ils expliquent mieux la place et les futurs enjeux de la chimie dans les développements socio-économiques et environnementaux. Certes, l’exercice de style est difficile et sans doute délicat, mais il peut s’avérer particulièrement fructueux et payant pour éviter de voir se multiplier incompréhensions et confusions, malentendus toujours très dommageables pour le rayonnement des sciences.
Les innovations génèrent souvent peurs ou angoisses. Il serait insensé que les chimistes ne contribuent pas à dissiper les inquiétudes sur les nouveaux matériaux nés de la synthèse de nanotubes de carbone, de la manipulation de la matière atome par atome, de l’assemblage de micro-moteurs moléculaires chimiques ou biologiques. À l’avenir, pourrons-nous disserter sur les éventuels dangers de l’utilisation d’objets invisibles directement sortis de la tête pensante des scientifiques~? Pour éviter de revivre un très mauvais scénario, déjà bien connu, celui qui mit en scène les fibres d’amiante et leurs effets nocifs, les chimistes doivent devenir les acteurs de leur propre communication.
Au cours des mois de juin et juillet, deux actualités chimiques se dérouleront dans la même unité de lieu, la Maison de la Chimie. Le colloque international Chemrawn~XV, La chimie pour l’eau, et la célébration du 70e~anniversaire de l’inauguration de cette honorable Maison nous rappellent que, de tout temps, les chimistes sont capables de favoriser les débats d’idées et défendre de grandes causes pour l’Humanité. Forts de leurs savoirs, ne pourraient-ils pas, moyennant un sens aiguisé de la pédagogie, communiquer avec le profane~? L’impact de la chimie en sortirait grandi et son blason redoré.
Yann-Antoine Gauduel
Rédacteur en chef