La synthèse ciblée
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Comme montré dans les précédentes contributions, beaucoup d’imagination et d’efforts ont été consacrés à l’amélioration de l’outil de synthèse. Les conditions réactionnelles ont été adoucies ou modifiées (préservation de l’environnement) et les stéréosélectivités ont été spectaculairement accrues, même, et peut être surtout, dans les conditions de la catalyse.
Toute cette activité tendait vers un but unique~: donner le maximum de chances de parvenir efficacement à un édifice moléculaire, éventuellement, mais le plus souvent complexe, susceptible de posséder des propriétés spécifiques et donc candidat à un développement pour une application socioéconomique. On peut en cela considérer que la synthèse ciblée constitue le but unique de la chimie organique, sans perdre de vue que toute réaction nouvelle peut conduire à des molécules jusque-là inaccessibles et dotées de propriétés intéressantes (la chimie crée son objet…). Le développement récent et spectaculaire de la chimie combinatoire illustre ce dernier point tout autant que l’article de Kyriacos C. Nicolaou, digne héritier d’une grande famille dont «l’ancêtre» a été Robert B. Woodward, qui montre que la synthèse totale peut (et doit) allier l’art dans sa stratégie, la créativité dans sa méthode et l’utilité dans ses cibles~; la contribution de Pierre Potier et coll. en constitue un autre exemple spectaculaire avec deux points forts~: l’utilité (deux nouveaux anticancéreux commercialisés) et l’utilisation de la Nature comme source, à la fois d’inspiration et de produits complexes modifiables pour obtenir des composés plus actifs.
La recherche de nouveaux médicaments a été sans nul doute la principale préoccupation en ce domaine et les groupes français ont apporté une contribution notable, encouragés par des interactions fortes avec le secteur des Sciences de la Vie (interface chimie-biologie soutenue par les pouvoirs publics) et le milieu industriel dont les acteurs principaux se sont (malheureusement~?) fondus dans de puissants groupes internationaux avec lesquels les contacts deviennent plus aléatoires. Elle a aussi été vivifiée par l’activité importante des bioorganiciens qui a permis une meilleure définition des molécules cibles. Les articles retraçant les travaux des groupes de Camille Georges Wermuth et Jean-Yves Lallemand illustrent ce type d’approche qui leur a permis de développer des thérapies inédites. Enfin, le «screening aveugle» est devenu plus réfléchi et systématique, encouragé par le progrès des tests biologiques (haut débit) à la base du développement de la chimie combinatoire. Après une décennie d’efforts et une position peut-être (sans doute~?) trop exclusive, l’analyse critique de Jean-Yves Ortholland présente un intérêt certain.
Mais les molécules bioactives n’ont pas constitué une cible unique et la recherche de produits à propriétés définies s’est exercée dans d’autres domaines, notamment dans celui des matériaux grâce sans doute à de nouvelles collaborations avec les polyméristes, certains physiciens et industriels. Emmanuelle Schultz et Marc Lemaire illustrent ce fait en décrivant la recherche de nouveaux matériaux conducteurs, dans leur cas les (poly)thiophènes, en montrant comment le chimiste de synthèse peut intervenir dans la conception et l’obtention de monomères appropriés.
Carlo Thilgen et François Diederich mettent en valeur le potentiel des fullerènes C60 et C70 englobés dans des édifices tridimensionnels constituant, entre autres, de nouveaux matériaux ionophores. Enfin, les développements de la chimie supramoléculaire et la possibilité d’accéder par synthèse et assemblage à des édifices inédits ont donné naissance à de nouveaux matériaux aptes à constituer des machines moléculaires (ou nanomachines) qui pourraient à l’avenir recevoir des applications. C’est ce secteur inédit et fascinant que nous fait approcher l’article de Jean-Pierre Sauvage.
Note : ce texte est une présentation de la rubrique La synthèse ciblée.
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