De l’inorganique au biologique
Comprendre les conditions initiales qui ont permis l’apparition de la vie, tel est le leitmotiv partagé par de nombreux habitants de la planète Terre, mais peut-être aussi d’autres mondes encore inexplorés. Notre système solaire représente un fabuleux terrain d’investigation pour les scientifiques à la recherche des moindres indices susceptibles de les éclairer sur les origines de la vie. Âgée d’une quarantaine d’années, l’aventure interplanétaire n’en est qu’à ses débuts~! Au moment où ces lignes sont rédigées, la sonde Huygens, alors détachée de Cassini, s’est déposée sur Titan, le plus gros satellite connu de Saturne. À partir du 14~janvier 2005, soit sept ans après le démarrage de cette odyssée spatiale, la mission devrait enfin commencer à lever un voile sur l’unique «atmosphère lunaire» du système solaire. Les astrophysiciens et spécialistes de la chimie interstellaire attendent de disposer des premières données avec d’autant plus d’impatience que l’environnement de Titan serait proche de l’atmosphère primitive de la Terre. Sous la vigilance de la sonde Cassini, laissons le «travail de Titan» s’accomplir à partir de ce laboratoire-satellite. Les premiers signaux ainsi récoltés devraient prochainement livrer leurs secrets. À travers cette fabuleuse aventure des temps modernes, la chimie prébiotique et l’exobiologie sont sur la sellette.
L’étude atomique et moléculaire de l’espace interstellaire est donc un thème d’exploration de grande actualité pour lequel la haute technologie des sondes spatiales exerce un rôle majeur, voire décisif. C’est pourquoi, dans ce numéro de L’Actualité Chimique, le premier article de notre projet rédactionnel dédié à l’Année mondiale de la physique est consacré à des recherches sur la chimie des grains de poussière du milieu interstellaire. Au niveau de ces grains, l’apparition des précurseurs de composés biologiques essentiels à la vie met en jeu des assemblages entre atomes et molécules simples. En présence d’eau, une organisation moléculaire de complexité croissante peut ainsi aboutir à la synthèse de monomères tels que des acides aminés, des bases puriques et pyrimidiques. Sur Terre, ces entités entrent dans la composition de polymères biologiques, les protéines et acides nucléiques. De la chimie prébiotique à l’exobiologie, cette contribution illustre magnifiquement le fait que le monde minéral rejoint celui des composés organiques.
Avec le temps, comment différentes fonctionnalités ont-elles pu apparaître à partir d’assemblages atomiques et moléculaires de plus en plus complexes~? Cette interrogation sur les systèmes vivants n’est pas l’apanage des biologistes. Les physiciens et chimistes le savent bien ; l’organisation, la structure et les propriétés d’objets nanométriques et micrométriques ne sont pas comparables. Des effets de taille liés au nombre d’atomes influencent considérablement les propriétés physico-chimiques de ces systèmes. Le deuxième article célébrant l’Année mondiale de la physique montre à quel point les grandeurs magnétiques de nanoparticules de cobalt obtenues par synthèse organométallique sont grandement dépendantes de l’environnement chimique, notamment de la nature des ligands. Même si les premières applications de ces objets magnétiques de très petite dimension sont envisagées en direction de l’enregistrement haute densité, d’autres sont d’ores et déjà mises en perspective pour les sciences du vivant.
Les frontières s’estompent entre le monde de l’inorganique et celui de la biologie~!
Yann-Antoine Gauduel
Rédacteur en chef
Couverture
The Colorful Horsehead Nebula. ©~Canada-France-Hawaii Telescope/J.C.~Cuillandre/Coelum