Un chimiste en Serbie
Qu’allait me réserver, en tant que chimiste, mon voyage en Yougoslavie au mois de novembre 1999 ? Sur invitation de la faculté des sciences de l’université de Kragujevac (Serbie), l’opportunité m’a été offerte de rencontrer les nombreux acteurs locaux de la recherche en sciences chimiques et de constater sans surprise les conditions précaires dans lesquelles leur travail continue tant bien que mal à se faire aujourd’hui. La « chimie serbe » est organisée autour de la Société Serbe de Chimie, l’une des plus anciennes sociétés savantes européennes. Elle se développe aujourd’hui principalement dans trois universités : celles de Belgrade, Novi Sad et Kragujevac. L’Université yougoslave subit les sanctions imposées depuis huit ans, qui se traduisent, pour les sciences chimiques, par une régression importante de la production scientifique. Les causes de cette dégradation du tissu scientifique yougoslave semblent a priori résider dans :
- les sanctions commerciales qui prohibent l’importation de marchandises à but scientifique (l’hélium liquide qui sert en spectrométrie de RMN et en IRM est rationné depuis avril 1999),
- la pénurie des moyens financiers pour les sujets à vocation fondamentale,
- l’exode des jeunes scientifiques talentueux vers l’étranger stimulé par les bas salaires alloués aux enseignants des universités (150-200 DM par mois),
- le manque de débouchés régionaux pour les recherches fondamentale et appliquée civiles après la destruction récente de l’industrie chimique et le gel subséquent de l’activité R & D des principales compagnies pharmaceutiques locales,
- le gel des programmes de grands équipements scientifiques,
- l’isolement académique des chimistes yougoslaves pour lesquels des liens officiels avec les institutions internationales, les missions à l’étranger et l’accès à l’information scientifique sont pratiquement impossibles.
Toutefois, les chercheurs yougoslaves m’ont donné l’impression de ne pas avoir renoncé à poursuivre leurs missions grâce à un courage à toute épreuve doublé d’une volonté obstinée, et surtout, grâce à une ouverture d’esprit qui l’emporte sur le ressentiment.
Note :
L’auteur de cette « tribune libre », un jeune chimiste strasbourgeois d’origine serbe, m’avait donné la primeur de ses impressions à son retour d’une visite en Serbie. Je l’ai encouragé à écrire ce texte : les événements récents, et les horreurs récentes liées à la guerre du Kosovo, ne doivent pas nous faire oublier l’amitié traditionnelle entre la France et la Serbie, et surtout, en ce qui nous concerne, les relations fraternelles que nous avons ou avons eues avec des chimistes serbes ; je rappellerai simplement le souvenir de notre ami le professeur Misa Milhailovic, lauréat de l’Institut de France. Je rappellerai aussi, évidemment, le rôle regrettable qu’a eu, avant la phase aiguë de l’explosion de la Yougoslavie, l’Académie serbe des sciences – quand elle a prôné la serbisation totale du Kosovo, et a même exclu de son sein ses membres kosavars malgré les protestations de ses membres étrangers.
Guy Ourisson
Membre étranger de l’Académie serbe des sciences