Comment élever le "chimiste nouveau" ?
L’industrie chimique vit un tournant. Personne ne le conteste. Une mondialisation accélérée, l’incursion profonde des sciences de la vie et de la physique dans la chimie, la contribution de la chimie aux problèmes d’environnement, l’image de la chimie dans l’opinion… Autant de transformations et de questions qui exigent adaptations et réponses.
Sous l’impulsion des professeurs Fouassier, Donnet, Fleury et Straith, l’École de Chimie de Mulhouse a célébré le 175e anniversaire de sa fondation, en organisant un Colloque consacré au jeune chimiste et à l’industrie en mutation.
Doyenne des écoles de chimie, Mulhouse poursuivait ainsi une tradition bien établie, initiée en 1972, continuée en 1988 et 1991, et rassemblait, une nouvelle fois, industriels, enseignants et chercheurs pour les inciter à réfléchir, ensemble, aux orientations qui se dessinent et à faire les propositions qui s’imposent sur la formation et la place des futurs cadres de l’industrie.
Par un choix judicieux d’intervenants, qualifiés et représentatifs, les organisateurs sont parvenus à bien réactualiser la situation. C’est tout naturellement que L’Actualité Chimique, qui avait déjà rendu compte du Colloque de 1988, a accepté de faire profiter un public plus large des travaux du Colloque, qui a réuni quelque 500 personnes. Nous remercions vivement les organisateurs de leur proposition.
Les mutations stratégiques s’imposent aux sociétés chimiques, quelles que soient leur taille ou leur nationalité. À ce titre, les deux premières conférences se sont avérées très complémentaires. Le docteur G.-R. Wolf a montré comment son groupe, la BASF, s’apprête à défendre sa place de leader mondial. De son côté, le Dr P.T.K. Wu de la China Synthetic Rubber Corp, a raconté comment une économie et une société — taïwanaises en l’occurence — se sont trouvées entraînées, tout naturellement, vers la mondialisation et vers les modifications d’activités et de structures qu’elle provoque.
Pour innover, l’industrie doit s’engager de plus en plus vers une haute spécialisation technique, qui impose approfondissement de chaque discipline et mise en liaison efficace de disciplines. Les organisateurs avaient retenu d’illustrer cette double exigence par l’exemple des sciences de la vie. Les conférences de Ph. Sicard et de R. Paioni sont particulièrement instructives.
Bien sûr, de telles restructurations et transformations ne peuvent se faire sans remettre en cause les flux et profils des futurs cadres de l’industrie, c’est-à-dire les composantes quantitative et qualitative de toute politique de recrutement.
Le déséquilibre actuel a été évoqué par B. Louvet et B. Bigot : l’industrie chimique et les organismes de recherche français ne parviennent pas à absorber les jeunes formés dans les écoles et par l’université. Faut-il, pour autant, se laisser décourager par ce constat, peu motivant pour les jeunes ? Probablement non, car les représentants de l’industrie (J.C. Bravard, F. Rocquet et S. Rebouillat) constatent et prévoient une évolution et une diversification des métiers et des compétences. Si ces prévisions s’avèrent exactes, le décalage actuel est avant tout conjoncturel. Il peut et doit se corriger par un effort d’adaptation conjoint des partenaires, industriels et enseignants, pour rétablir le plus rapidement possible l’équilibre souhaité.
Le profil du futur cadre, tel qu’il a été évoqué par les industriels, fait l’unanimité. L’industrie demande des jeunes, réunissant, dans une même et seule personne :
- de solides connaissances techniques, approfondies et étendues, gages de rigueur et d’ouverture ;
- une bonne formation humaniste, alliant connaissance des hommes, langues, cultures, et pouvoir de conviction ;
- une personnalité vréative, enthousiaste et dynamique.
À première vue, une telle convergence des attentes, parfaitement résumée par les 4C — Connaissance, Compétence, Communication, Créativité — proposées par S. Rebouillat, est réconfortante. Elle risque de s’avérer utopique ou angélique. Comment former la perle rare que les industriels souhaitent ? La table ronde, pourtant consacrée à la formation du futur chimiste, n’a pas attaqué franchement cette question de fond. Comment élever ce «chimiste nouveau» au goût des industriels ? Le plus difficile reste encore à faire.
Mais les voies sont entrevues. Elles passeront, certainement, par une meilleure définition des différents métiers de la chimie. Il est dommage que les trois filières proposées par l’UIC dans un premier temps — recherche, production et développement — n’aient pas été évoquées et discutées. Certes, une telle segmentation met en cause l’organisation traditionnelle des enseignements des profils, d’une plus grande professionalisation ou employabilité des cadres.
Un regard neuf devra être aussi porté sur le contenu des enseignements, quitte à en supprimer pour en introduire de nouveaux. Il appartiendra, selon les filières retenues, d’identifier — de façon pertinente —, et de formuler — de manière pédagogique — , les concepts de base utiles dans la vie professionnelle. Cette structuration de la discipline doit se faire conjointement par les industriels et les enseignants. Elle ne peut être laissée à la discrétion des étudiants, qui manquent d’expérience. Pour reprendre la formule de G. Ourisson : «Comment faire mieux avec moins ?».
La confiance exprimée, tout au long du colloque, en l’avenir de la discipline et de l’industrie, mérite que les contenus des métiers et des enseignements soient enfin traités. Les réponses ne sauraient attendre la célébration du 200e anniversaire de la fondation de l’École de Mulhouse ! À l’UIC et à la DGES de poursuivre et d’approfondir le dialogue entamé à l’occasion de la préparation de la Journée du 24 mars 1998.
Gilbert Schorsch
Rédacteur en chef