Chimie et biologie : une interaction féconde
En même temps qu’il m’était demandé d’écrire l’éditorial de ce numéro de L’Actualité Chimique, le sommaire m’en était communiqué. De quoi réfléchir à la chimie telle que nous la vivons et, surtout, telle que nous pourrions la faire vivre.
Pasteur, toujours d’actualité bien sûr : de la chimie à la biologie et à la médecine. Que dit-on de différent aujourd’hui ? L’interaction si naturelle entre ces disciplines est, en effet, d’une fécondité exceptionnelle tant pour la recherche fondamentale que pour ses applications : c’est le même arbre, disait Pasteur. La compréhension complète d’un phénomène ou d’un événement biologique n’est-elle pas lorsque ce phénomène ou cet événement peuvent être transcrits en termes chimiques ? Les prix Nobel de chimie récompensent souvent des chercheurs ayant travaillé dans le domaine de la biologie : acides ribonucléiques, mécanismes de fonctionnement de centres photosynthétiques, interaction entre des effecteurs biologiques et leurs ligands. Les membres des jurys de ces prix prestigieux hésitent souvent : chimie, biologie, médecine ? Il serait peut-être temps, disent certains, de redéfinir de nouveaux prix. Est-ce bien évident ?
L’une des dernières affaires qui excitent certains chimistes : la synthèse combinatoire, décrite dans ce numéro par notre collègue Tartar. Mais la chimie du «Père Bon Dieu», n’est-elle pas le plus bel exemple de chimie combinatoire pas seulement restreinte aux synthèses linéaires comme le sont les synthèses de peptides et de polynucléotides ? Il y a là-dessous du sérieux et du moins sérieux. Les anticorps catalytiques (M.~Thérisod) : sujet important mais pour lequel, il y a quelques années, on fondait des espoirs que démentent les principes élémentaires de la thermodynamique. La cristallochimie des apatites en relation avec les tissus osseux (C.~Rey). Le principe même de la cristallisation est important : deux matrices protéiques portant l’une les cations (Ca2+), l’autre les anions (PO43- ou CO32-) ; la reconnaissance des deux laissant apparaître les distances réglementaires pour le développement de la maille cristalline : apatite, aragonite, calcite, etc. des os et des coquilles.
Bref, la chimie, discipline carrefour : les chimistes, communauté d’une grande diversité, donc d’une grande richesse, unie par un même langage : la symbolique chimique. Depuis la chimie de l’état solide, à la chimie organique et biologique en passant par la chimie «inorganique», la catalyse, etc. Nous ne sommes qu’une seule et même communauté.
Mais il reste beaucoup à faire pour, non seulement créer les conditions de l’innovation et de la découverte dans notre propre discipline, la chimie, mais aussi pour nous adapter aux progrès incessants des disciplines connexes : biologie, médecine, physique, sciences de l’univers, composants électroniques, etc. La chimie crée son objet. On parle souvent du «Grand horloger de l’univers». On peut parler, aussi, du «Grand chimiste du monde». Il nous laisse encore beaucoup à découvrir : il a eu, dit-on, 4,8 milliards d’années pour arriver à ce que nous sommes et à ce dans quoi nous vivons. Ce pourrait être mieux ; mais ce n’est pas si mal. Observons ! Il y a encore tant à faire.
Pierre Potier
Membre de l’Institut
Couverture
Vue du laboratoire de Louis Pasteur dans sa maison-musée d’Arbois (Jura), rénovée par l’Académie des sciences (photo : Archives de l’Académie des sciences).