Dis, comment ça marche la stratégie nationale de recherche ?
La recherche française serait organisée de manière trop complexe pour être clairement décodée par nos collègues étrangers. Une bonne (?) raison pour expliquer certains de nos échecs, notamment au niveau européen. Jacobinisme contre esprit gaulois~? Qu’en pensent les lecteurs de L’Actualité Chimique~? Bref panorama…
Les contrats d’objectifs et de performance des organismes (universités, écoles et autres structures également) ont été créés au niveau ministériel Le ministère de la Recherche a été précurseur, notamment pour des organismes de recherche finalisée dont il partage la tutelle avec les ministères chargés de l’Environnement, de l’Agriculture, des Affaires étrangères, de l’Industrie, etc. afin que les autorités puissent disposer d’un instrument, certes fragmentaire, pour mieux connaître leurs forces et faiblesses, fixer des objectifs de progrès, et attribuer en conséquence des crédits sous forme d’une dotation globale. Une étape a été franchie en 2005 avec la mise en œuvre de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) qui structure le budget de l’État en programmes assortis d’indicateurs définis en concertation avec le ministère du Budget.
La loi sur l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR) du 22~juillet 2013 prévoit la formalisation d’une stratégie nationale de recherche (SNR). Après la mobilisation des parties prenantes dans une dizaine d’ateliers et une consultation publique conduite en 2014, le ministère chargé de la Recherche a mis en ligne un document de synthèse en avril 2015 www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24538/strategie-nationale-de-recherche-s.n.r.html.
Le Premier ministre, et par délégation le ministre chargé de la Recherche, s’appuyant sur le Conseil stratégique de la recherche et sur le Comité interministériel dirigé par la DGRI (Direction générale de la recherche et de l’innovation), auront à définir les mesures concrètes visant à mettre en œuvre les grandes orientations et les programmes d’actions prioritaires qui en découlent. Ces actions s’inscrivent a priori dans un cadre national, transdisciplinaire et trans-établissement, à charge pour ces derniers de préciser leur place dans la programmation de la recherche nationale.
Faut-il rappeler que l’orientation de la recherche s’appuie sur un outil de financement principal, l’Agence nationale de la recherche (ANR), chargé de gérer l’essentiel des crédits nationaux de recherche sur projets ? Et que la DGRI assure le suivi annuel de l’ensemble des organismes, eux-mêmes regroupés dans les cinq Alliances nationales de recherche thématiques (Allenvi, ALLISTENE, ANCRE, ATHENA, AVIESAN). Oublions un instant les structurations locales autour du monde universitaire dans les COMUE (voir Bernier J.-C., Les COMUE et le financement des universités, L’Act. Chim., 2015, 396, p.~4.) et l’importance des crédits régionaux et des Idex, Labex et autres structurations… La DGRI assure également un pilotage des grandes infrastructures de recherche et des grands pôles de données spécialisées. La stratégie nationale de recherche (SNR) constitue donc une « Bible » sur laquelle la DGRI s’appuiera, avec l’ANR, pour décliner la programmation de la recherche sur cinq ans, à l’image de la programmation européenne élaborée dans le cadre d’Horizon 2020. La SNR s’articule sur les mêmes défis sociétaux, dont chacun présente à la fois une dimension de recherche et développement et une dimension de recherche fondamentale.
Le ministère chargé de la Recherche et les ministères techniques se coordonnent pour définir une position française claire et compréhensible par tous les partenaires français, au niveau européen notamment~; les remontées des choix stratégiques de la DGRI et de la programmation de l’ANR qui en découle influencent donc le financement des initiatives européennes. La remontée d’informations émanant des communautés scientifiques (par les Alliances en particulier), comme sur les initiatives prises au niveau européen (clubs, think tanks, etc.) et surtout les initiatives de programmation conjointe (JPI) alimentent les réflexions en cours. Et ce d’autant plus aisément que les clubs européens disposent de groupes miroirs au niveau national (avec des représentants des ministères, de l’ANR, des pôles de compétitivité, des Instituts Carnot, etc.). Une organisation de type action-rétroaction est d’autant plus importante pour la recherche française que, au cours de tous les PCRD (programme cadre de recherche et développement), le retour obtenu par la France est nettement inférieur à la contribution nationale à la recherche européenne (600~millions d’euros d’écart au cours du seul 7e~PCRD qui vient de se terminer, soit presque un budget annuel de l’ANR). Améliorer notre puissance de lobbying au niveau européen n’aura d’effet visible que si nos chercheurs répondent aux questions posées plutôt que de rechercher les mots-clés qui leur conviendraient~!
Il faut également que les entreprises françaises se mobilisent davantage au profit de la recherche. Ce qui ne veut pas dire privilégier la R~&~D au détriment de la recherche «amont». Il ne faut pas non plus se limiter à répondre à des grands questionnements sociétaux. Les pays émergents ont d’ailleurs bien compris cette importance de «l’amont» et investissent généreusement dans la recherche fondamentale~! Comme le rappelait début mai 2015 le commissaire européen chargé de la recherche, Carlos Moedas, la France a de grands atouts en science fondamentale mais, comme beaucoup de pays européens, si «nous sommes bien armés pour transformer des euros en connaissances, nous sommes moins capables de transformer cette connaissance en produits » (citant comme exemple le MP3 inventé en Europe et transformé en produit (c’est-à-dire en emplois) aux États-Unis). Dans l’objectif de 3~% du PIB des pays de l’Union consacrés à la R~&~D (fixé depuis au moins le Conseil européen de Lisbonne en 2000, et atteint par les Allemands et les Finlandais par exemple), le problème est depuis presque toujours le faible apport des entreprises (à l’origine, 2~% des 3~%), et qui en France par exemple est de 1,48~% pour le privé et 0,81~% pour le public (soit un total de 2,3~% actuellement au lieu des 3~% promis depuis quinze ans.
Notre paysage, dans le domaine de la chimie en particulier, n’est pas constitué que des universités, des écoles (et de la Fédération Gay-Lussac), du CNRS, comme on l’oublie trop souvent. Le CEA, l’Inserm et l’INRA, ainsi que les établissements relevant d’autres spécialités et tutelles ministérielles sont très actifs en chimie (BTP, transports, etc.). Équilibrer recherche fondamentale et R~&~D a été un objectif essentiel. Par exemple, le «programme~187» a réuni (de 2006 à 2014) six établissements de recherche finalisés dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources –~INRA, IRSTEA (ex Cemagref) et IRD (ex ORSTOM)~– et trois EPIC (IFREMER, CIRAD et BRGM). Tous ces organismes avaient été créés pour apporter leurs compétences spécialisées aux secteurs avals, comme l’agriculture, l’élevage, la mer et ses ressources, le secteur minier, les relations avec les pays autrefois sous «contrôle» français en Afrique et Asie notamment. Ils se sont investis dans ce rééquilibrage, avec des résultats significatifs en nombre et indice d’impact de leurs publications, tout en augmentant la part de leurs ressources contractuelles avec les entreprises dans leurs ressources et en valorisant mieux leur propriété intellectuelle. Une croissance, plus rapide que la moyenne nationale, de leur participation au 7e~PCRD sur sa durée se traduit par une augmentation également significative du nombre d’articles copubliés avec des pays européens. La part de la chimie dans ses diverses composantes pour partie environnementale, mais également dans les domaines de l’alimentation, des ressources naturelles vivantes ou minérales, et leur transformation, etc. peut être estimée entre 10 à 20~%, voire plus pour la biochimie, la toxicologie, les matériaux…
Ces éléments sembleraient indiquer que le jacobinisme et ses contraintes peuvent avoir leurs vertus. Que pensent nos lecteurs de cet «autocratisme éclairé» tant vanté par Voltaire au siècle des Lumières~?
Quoi qu’il en soit, en ce mois de rentrée, nous sommes particulièrement heureux de vous offrir un dossier exceptionnel consacré à l’auto-organisation. Ce concept d’une richesse unique est né dans le laboratoire de Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie 1987. Une brochette de personnalités, dont de nombreux prix Nobel, a fêté début juillet le cinquantième anniversaire de ce laboratoire, dénommé maintenant ISIS (Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires). Nous devons ce dossier à Hervé This, membre du Comité de rédaction de L’Actualité Chimique, que nous remercions très vivement, ainsi que les prestigieux auteurs qu’il a rassemblés.
Rose Agnès Jacquesy
Rédactrice en chef
Couverture
Phénomène d’auto-organisation d’inclusions cholestériques dans un film suspendu de cristal liquide constitué d’une phase lamellaire de type «smectique-C*» (les molécules en forme de bâtonnet sont inclinées dans les couches constituant cette phase lamellaire). Formation de chaînes sous l’effet d’interactions élastiques.
Observation menée dans le cadre de l’étude des phénomènes d’auto-organisation dans les membranes de cristaux liquides. Ces membranes de cristaux liquides présentent de fortes analogies structurales avec les membranes biologiques. Centre de recherches Paul Pascal (UPR8641, CRPP, Pessac). ©~CRPP/CNRS Photothèque/Pavel DOLGANOV, Philippe CLUZEAU.
Conception graphique~: Mag Design – www.magdesign.info
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