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Du principe de précaution au principe de sobriété

Article paru dans l'Actualité Chimique N°395 - avril 2015
Rédigé par Jacquesy Rose Agnès

Le 9 février 2015, l’Assemblée nationale a adopté la loi sur le principe de sobriété. Elle traite uniquement des ondes dans lesquelles nous baignons, qui nous font peur… mais sans que quiconque soit prêt à renoncer à son téléphone portable, sa tablette, son ordinateur, pas plus qu’aux multiples gadgets connectés qui nous permettent de contrôler nos enfants comme notre tension artérielle… Pour l’essentiel, cette loi n’a pas pour objet d’interdire mais de guider les consommateurs à leur utilisation raisonnée et raisonnable. En cela, elle complète la loi constitutionnelle sur le principe de précaution.

La chimie –~trop souvent stigmatisée au nom du principe de précaution~– et les chimistes ont pourtant été pionniers en appliquant le principe de sobriété dans leur recherche et dans ses applications. C’est un principe d’économie et tout chimiste rêve d’une synthèse (moléculaire ou non) d’une élégante simplicité~! Quant aux industriels, c’est leur intérêt et ils mettent eux aussi en œuvre des synthèses convergentesLe principe de sobriété est en œuvre dans l’industrie pharmaceutique depuis des décennies –~synthèse à nombre de carbones limité, recyclage des produits secondaires de réaction, solvants choisis pour leur faible ou non-toxicité, etc. Tous les principes de la chimie verte, dont la sobriété, sont déjà présents..

Mais nous, chimistes consommateurs, l’appliquons-nous ce principe de sobriété~? Faisons-nous partie de cette catégorie consciente des risques liés à une prise excessive de certains composés auprès desquels est recherché un surcroît d’énergie, de santé, de jeunesse~? Est-ce raisonnable~? Sans danger~? Certes non~!

Depuis longtemps, le bêta-carotène, un antioxydant, est supposé prévenir le cancer, propriété mise en doute il y a quelques années déjà. Deux grandes études randomisées ont en effet montré que, bien au contraire, à doses trop fortes, il augmentait de 18 à 28~% le cancer du poumon chez les fumeurs… sans que l’on sache vraiment pourquoi. Certains suppléments, notamment des «biomolécules» (souvent de synthèse~!) telles que l’acide folique (vitamine B9), les vitamines D et B12, ont des effets bénéfiques quand ils sont utilisés à bon escient et en quantités raisonnables~; le fer aussi, au contraire du magnésium pourtant paré de multiples vertus, mais dont les effets ne sont pas scientifiquement prouvés.

Mais il y a plus grave. L’Anses a ainsi reçu plus de 300~signalements d’effets secondaires «indésirables». Il est désormais bien connu que la vitamine~A (rétinol) et la vitamine~E peuvent être nocives pour certaines personnes et/ou à certains moments (grossesse). La vitamine~D (bien qu’également naturelle~!) peut induire –~c’est avéré~– un risque de cancer du sein invasif (d’après trois études concernant 150~000 femmes). Comme pour les phytoestrogènes des plantes, ou les oméga~3, des interactions existent avec les hormones sexuelles, pouvant conduire à des cancers hormonaux dépendants (sein, mais aussi utérus, ovaires, prostate, testicules). Ces perturbateurs endocriniens là sont autrement redoutables que les milliers de produits chimiques qui sont montrés du doigt. Les isoflavones de soja sont un exemple à méditer~! Depuis une quinzaine d’années, l’interaction négative de ces composés avec des médicaments anticancéreux comme le tamoxifène ou le létrozole est avérée.

Les remèdes de grand-mère et les préparations exotiques ont également fait l’objet de multiples travaux, fondamentaux et cliniques, sur les risques d’interactions avec des médicaments, comme le millepertuis (antidépresseur naturel) qui interagit avec une vingtaine de familles de médicaments~! La levure de riz rouge, anticholestérol, contient de la monacoline~K, une statine, et peut donc interférer avec le dosage des statines prescrites médicalement. Extraite de l’écorce d’orange amère, la p-synéphrine, complément minceur, peut conduire, utilisée sans précaution, à des troubles extrêmement graves comme une insuffisance rénale aiguë, des hépatites, etc.

Il est également essentiel de rappeler aux consommateurs –~que nous sommes~– d’être vigilants vis-à-vis des contrefaçons (à bas prix ou non)~: la moitié des compléments amincissants sont par exemple non conformes, ceux à visée érectile et ceux destinés aux sportifs, y compris ceux vendus comme «100~% naturels», peuvent être dangereux, avec le risque de prendre un composé non évalué chez l’homme ou un traitement interdit~! On peut ajouter l’«effet dose» pour les produits isolés de leur matrice alimentaire avec une disponibilité accrue, un risque de surdosage, etc. Même la vitamine~C (vendue sous le «patronage» du double prix Nobel Linus Pauling) deviendrait à forte dose pro-oxydante et des composés radicalaires génotoxiques sont formés par oxydation des oméga~3… Manger équilibré, marcher, courir, sont eux d’excellents conseils.

Le coût lié aux recherches exigées par notre rêve de produits miracles et par nos peurs savamment mises en scène n’a jamais été estimé. La loi sur la sobriété pourrait être un guide pour aider à garder raison, au lieu de courir après des chimères dignes de l’obscurantisme. Au secours Diderot, d’Alembert, en cette année dédiée à la lumière !

Consolider le présent et préparer l’avenir sont des nécessités auxquelles la Société Chimique de France et L’Actualité Chimique doivent se consacrer. La création du Réseau des Jeunes chimistes (RJ-SCF) et son association à nos travaux nous permettront de mieux répondre aux attentes de nos jeunes adhérents et abonnés.

L’Auvergne, notre troisième dossier régional, a fait un choix peu conventionnel, celui d’un éventail de domaines de recherche qui va de la douleur au vieillissement des polymères, en passant (entre autres) par la chimie des nuages. Le moyen de montrer à nouveau l’importance de la chimie et ses multiples applications. Merci à l’initiateur de ce dossier, Jean-Marie Nedelec, au Bureau de la section régionale et à tous les auteurs.

Rose Agnès Jacquesy
Rédactrice en chef

Pour en savoir plus, voir~: Dupuy Maury F., Lettre de l’Inserm n°~23, janvier-février 2015, p.~22-33.

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