Introduction
Nous savions que nous vivions dans un monde fini, mais nous raisonnions en termes d’espace. Voici que nous prenons progressivement conscience que notre civilisation matérielle repose sur l’utilisation massive de ressources fossiles, mais aussi qu’elle a la capacité de modifier les équilibres naturels.
Nous constatons indéniablement une très forte augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle et donc un renforcement de l’effet de serre, dont on sait qu’il conditionne l’équilibre climatique de notre planète. A ceci vient s’ajouter un certain nombre de pollutions nocives pour l’air, le sol et l’eau.
Nous commençons à comprendre que nous hypothéquons l’avenir et à nous soucier de l’état du patrimoine Terre que nous laisserons à nos successeurs, qui seront sans doute entre 8 et 10 milliards vers 2050 contre 6 milliards actuellement. Ceci a conduit à la notion de développement durable élaborée lors du sommet de Rio en 1992.
Face à ces défis, c’est à l’énergie que nous pensons de prime abord. Elle est notre talon d’Achille. Plusieurs chocs pétroliers nous ont alertés ; notre société est au bord de l’asphyxie dès que l’on bloque les accès à nos raffineries. C’est que l’énergie fossile représente environ 80 % de l’énergie consommée à l’échelle mondiale. Cette proportion risque d’augmenter avec la croissance démographique et l’augmentation des niveaux de vie de nombreux pays en développement (Asie…). Cela ne pourra qu’accentuer le enchérissement déjà constaté du pétrole et du gaz et accélérer l’épuisement des réserves.
L’Europe a décidé de faire face à ces défis en souscrivant aux accords de Kyoto pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, en publiant un Livre blanc sur les énergies renouvelables (1997), en adoptant une directive sur l’électricité d’origine renouvelable (2001) et en proposant un projet de directive sur les biocarburants.
En France, les bioénergies comptent pour 4,5 % de la consommation d’énergie primaire. Un doublement de cette part d’ici 2020/2030 est possible, mais c’est un objectif ambitieux. La biomasse disponible ne permettra pas d’aller au-delà, compte tenu des usages concurrents, en premier lieu l’alimentation. Cette contribution est pourtant indispensable pour tenir nos engagements d’émission de gaz à effet de serre à court terme. La filière biocarburants est la mieux placée pour y parvenir car c’est une filière organisée qui peut rapidement monter en puissance.
A plus long terme, d’autres énergies renouvelables (éolien, géothermie, solaire…) pourront venir prendre le relais.
Cela veut-il dire que la biomasse n’aurait qu’un intérêt transitoire dans l’évolution des sources d’énergie ? Non, et ceci pour deux raisons : d’une part parce qu’on aura besoin de sa contribution dans le panier d’énergies du futur, d’autre part parce qu’elle constitue la seule matière première substituable au pétrole pour la pétrochimie. Or, les projections montrent que dans les 20 à 30 années qui viennent, la production pétrolière ne suffira plus à accompagner la croissance économique. L’industrie chimique devra se tourner pour ses matières premières vers la biomasse qui, elle, est renouvelable.
Là se trouve le véritable enjeu stratégique pour la biomasse et ce, à un double titre. C’est d’abord une formidable opportunité pour l’agriculture qui, face aux contraintes tarifaires résultant de la PAC, va trouver un nouvel atout économique dans cette diversification. Mais c’est aussi une opportunité majeure pour l’industrie chimique qui pourra ainsi assurer ses approvisionnements futurs et s’ouvrir un champ d’innovation considérable. Il n’est pas trop fort de dire que le végétal provoquera une nouvelle aventure industrielle équivalente à celle qu’a suscitée le pétrole en son temps. Il est intéressant à cet égard de noter le pari que les États-Unis font sur le végétal puisqu’une étude prévoit qu’il constituera 50 % des matières premières utilisées par l’industrie chimique vers 2050.
Est-ce faisable ? La question porte à la fois sur la ressource, la fiabilité et l’adéquation aux besoins des matières premières et l’existence de techniques de transformation appropriées à des prix de revient acceptables. Le pétrole consommé comme bases pétrochimiques est de l’ordre de 10 Mt en France, soit 10 % environ de la consommation totale (contre 4 % dans le monde). Il faudrait approximative-ment 4 à 5 M ha de cultures pour couvrir nos besoins, soit environ 15 % de la surface agricole française. C’est possible. Les producteurs de végétaux devront assurer des approvisionnements fiables aux industriels à la fois sur le plan de la continuité et de la qualité. La filière agricole a démontré qu’elle était en mesure de le faire avec les biocarburants. On doit enfin pouvoir disposer de végétaux et de techniques adaptés pour fabriquer des produits compétitifs permettant des gains environnementaux. A cela doit répondre la recherche et développement.
Les besoins en recherche et développement sont considérables. Il est rapidement apparu que pour amorcer un développement de ces produits renouvelables, un soutien public à la recherche était nécessaire. C’est pourquoi a été créé en 1994 par quatre ministères et l’Ademe, le Groupement d’Intérêt Scientifique Agrice (Agriculture pour la Chimie et l’Énergie) en collaboration avec des entreprises industrielles, des organisations professionnelles agricoles et les organismes de recherche. Renouvelé en 2001 pour six ans, Agrice a soutenu ou labellisé à ce jour plus de 500 projets de recherche et suscité la création d’un véritable réseau des acteurs des produits renouvelables.
Le champ d’activité d’Agrice porte principalement sur la transformation industrielle des productions végétales en produits des secteurs de la chimie (lubrifiants, tensioactifs, solvants…), de l’énergie (biocarburants, biocombustibles) et des matériaux (agromatériaux, biopolymères).
Les produits renouvelables, outre leur caractère renouvelable, ont montré les avantages qu’ils peuvent apporter en ce qui concerne la réduction de la pollution (biodégradabilité par exemple), la diminution des gaz à effet de serre, la non toxicité (absence de COV par exemple…), la multifonctionnalité (le biodiesel est aussi un solvant), les économies d’importation de pétrole, l’impact sur l’emploi. Mais ces produits restent souvent plus chers que ceux de la concurrence. Alors comment pénétrer sur le marché ? Une stratégie de niche s’impose. Leur sélection requiert la combinaison de critères variés : compétitivité, marketing, contraintes environnementales, besoins spécifiques auxquels répond le végétal…
Il est clair à ce sujet que la valorisation des propriétés originales des molécules végétales doit être un axe fort de la recherche qui permet d’échapper au handicap économique dont souffrent en général les produits renouvelables en substitution aux produits d’origine fossile. On voit également l’importance qu’il faut accorder à l’étude du marché pour fixer nos orientations.
Des applications commerciales existent ; elles sont variées et de tailles très diverses. Sans oublier les marchés traditionnels du bois, du papier, de l’amidon, des fibres textiles, de la lipochimie classique, de l’alcool, etc. Citons quelques exemples de marchés émergents : matières plastiques à base d’amidon, biocarburants, fluides pour extraction pétrolière, tensioactifs pour produits cosmétiques, huile de chaîne de tronçonneuse, encre d’imprimerie, laine de chanvre pour isolation, fibres pour garnitures automobiles, fibres composites, fluidifiant pour bitume, acide polylactique pour bioplastiques, 1,3-propanediol pour remplacer les fibres polyester, etc.
On voit la prodigieuse richesse du végétal et les immenses possibilités de développement offertes à l’industrie chimique depuis la PME jusqu’à la multinationale.
On voit du même coup le vaste champ d’investigation ouvert aux chercheurs des laboratoires scientifiques et industriels depuis le végétal jusqu’aux procédés de transformation. Mais encore faut-il que les acteurs potentiels soient sensibilisés à l’intérêt de la chimie du végétal. Le manque d’informations structurées et accessibles sur ce domaine est un frein important. C’est dans ce but que l’Ademe vient de créer avec d’autres partenaires un « centre d’intelligence économique sur les produits renouvelables et l’effet de serre » (Pronovial). Toute action de communication allant dans ce sens est à encourager.
C’est pourquoi je salue l’initiative de publier un numéro spécial consacré à la chimie des substances renouvelables. Je souhaite qu’il stimule de nouveaux chercheurs et fournisse des pistes d’innovation et des opportunités de marchés à des industriels toujours plus nombreux.
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