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Le monde est-il prêt à vivre un scénario sans chore ?

Article paru dans l'Actualité Chimique N°184 - novembre 1994
Rédigé par Rouanet Jacques

Le suédois Carl Wilhem Scheele (1742-1786) ne pouvait pas imaginer l’importance considérable que prendrait le chore dans notre vie quotidienne quand il isola, en 1744, ce gaz jaune vert d’odeur suffocante en faisant réagir l’acide muriatique (HCl) sur la pyrolusite (MnO2). Il dénomma ce gaz «acide muriatique déphlogistiqué», pensant qu’il s’agissait d’une combinaison d’acide muriatique et d’oxygène.

Scheele avait quitté l’école à l’âge de quatorze ans pour devenir apprenti apothicaire. Se souciant peu de théorie, cet expérimentateur infatigable s’illustra par de très nombreuses découvertes en chimie minérale et organique.

Il ne quitta jamais son modeste emploi d’assistant d’apothicaire. Lorsque sa notoriété devint telle qu’on vint à lui proposer un position plus lucrative, il répondit : «je ne peux manger plus qu’il ne m’en faut et du moment que je peux obtenir ici ce dont j’ai besoin, il est inutile que je cherche mon pain ailleurs». Et dans une autre correspondance : «Peut-être penserez-vous que les soucis matériels vont m’absorber et me détacher de la chimie expérimentale ? Pas de danger ! cette noble science est mon idéal». Cet éminent chimiste, à la personnalité si attachante, mérite bien nous lui rendions un hommage particulier dans ce numéro consacré au chlore.

La découverte de Scheele ne tarda pas à trouver une importante application : en 1785, Berthollet, au village de Javel, développa l’utilisation de ce gaz en solution aqueuse pour le blanchiment des textiles. D’autre part, le procédé Leblanc (1791), mis au point pour la fabrication industrielle d’alcali (CO3Na2), fournissait de l’acide chlorhydrque résiduel que l’on utilisa pour la production des chlorures décolorants de Berthollet.

Ainsi, en quelques années, la conjonction des découvertes de Scheele, Berthollet et Leblanc donnèrent naissance à l’industrie du chlore. En 1863, la législation anglaise interdit, par l’Alkali Act, tout rejet d’HCl à l’atmosphère.

La grande réactivité du chlore fut également mise à profit par les chimistes en tant qu’intermédiaire pour la synthèse de nombreux produits. Le dictionnaire de chimie de Wurtz, édition 1873, en témoigne : «il est impossible d’énumérer les services que cet agent énergique et précieux rend et a rendu aux chimistes et particulièrement dans l’étude des composés organiques». La suite jusqu’à nos jours est l’histoire d’un immense succès : 40 millions de tonnes de production dans le monde en 1993 ; 55~% de la chimie et 15~000 produits relèvent directement ou indirectement du chlore et un grand nombre d’activités humaines en dépendent.

Il est légitime que cette consommation importante de chlore suscite des interrogations relatives à la santé humaine et aux effets sur l’environnement de ses nombreux dérivés. La fragilité des écosystèmes terrestres, aquatiques et atmosphérique doit être, à juste titre, prise en considération. Quelques organochlorés jugés toxiques, bioaccumulables ou destructeurs d’ozone ont été réglementés et, dans certains cas, prohibés. D’aucuns affirment même que la nature, dans sa grande sagesse, ne procède jamais pas la liaison covalente chlore-carbone. Nous savons en fait qu’il n’en est rien.

Réquisitoires et plaidoyers continuent toutefois à alimenter la controverse, le dernier acte en date (1er février 1994) provenant de l’Agence américaine pour l’environnement (EPA) sous la forme d’une proposition «pour développer une stratégie nationale afin de substituer, réduire ou prohiber l’utilisation du chlore et des dérivés chlorés».

L’ensemble de la chimie du chlore doit-elle donc être mise en question à partir de présomptions sur quelques dérivés ? Et le monde est-il prêt à vivre un scénario sans chlore et à en assumer, en connaissance de cause, toutes les conséquences ?

Une coopération étroite entre la communauté scientifique et le monde industriel, une information claire, objective et incessante du public feront seules progresser ce débat om les prises de positions idéologiques n’ont pas de place.

Jacques Rouanet

Couverture
De nombreux produits sont issus de bouteilles PVC régénérées. Parmi les applications : tuyaux, plaques, profilés, dalles écrans anti-bruit, boîtes, bottes, textiles… (DR Recy PVC).

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