Qu’est-ce que la catalyse ?
Le terme de « catalyseur » a intégré le langage commun, où il désigne un individu, un événement ou une action déterminante, orientant les énergies vers un but qui n’aurait pas pu être atteint en son absence. Cette acception capture assez bien l’intuition scientifique de base : dès la fin du XVIIIe siècle, on connaît des situations où une faible quantité de substance « étrangère » à la réaction chimique lui permet pourtant de se faire mieux, plus rapidement, dans des conditions où autrement elle resterait « bloquée ». Aujourd’hui, on apprend aux étudiants que le catalyseur agit sans modifier la thermodynamique de réaction : il en accélère par contre la cinétique en offrant un chemin réactionnel privilégié, caractérisé par une énergie d’activation plus faible.
Comment le catalyseur agit-il ? La question est difficile, ne serait-ce qu’en raison des faibles quantités de catalyseur généralement utilisées. Pour ouvrir un nouveau chemin réactionnel, il doit bien interagir avec les réactifs, mais cette interaction ne concerne à tout moment qu’une petite fraction de ceux-ci, et de plus elle n’est pas durable, car comme on le sait, le catalyseur est ensuite régénéré dans son état initial (c’est la notion de « cycle catalytique »).
Il n’est donc pas surprenant qu’on ait su utiliser la catalyse, et souvent avec une grande efficacité, avant d’en comprendre le mécanisme au niveau fondamental. La première partie de ce numéro présente quelques grands procédés industriels catalytiques, liés à la transformation des matières premières (raffinage, gaz de synthèse), au contrôle de la pollution (combustion propre, pots catalytiques…), ou à des transformations plus sélectives (oxydations ménagées, polymérisations, chimie fine…). Le lecteur s’en rendra compte : notre économie, notre organisation sociale même, ne pourraient pas fonctionner sous leur forme actuelle sans catalyseurs.
Beaucoup de ces procédés peuvent être considérés comme arrivés à maturité. Alors, quoi de neuf du côté des procédés ? Après avoir été surtout associée à la production de composés énergétiques, de grands intermédiaires, de polymères, etc., voici que la catalyse est intimement liée à la nouvelle notion de développement durable avec des avancées significatives en protection de l’environnement et en prévention des pollutions, en « économie d’atomes » par la diminution des rejets non valorisables et donc en sûreté des installations (chimies fine et organique), et jusque dans la chimie du vivant avec l’aide au développement de médicaments par catalyse asymétrique. L’attribution du Prix Nobel de chimie 2001 à trois des « pères » de la catalyse asymétrique est d’ailleurs symptomatique de cette évolution.
Et du côté des outils et des concepts ? Les applications de la chimie théorique à la catalyse de surface, les nouveaux réacteurs, la cinétique hétérogène, les milieux non conventionnels (sels fondus, catalyse biphasique), les nouveaux matériaux (catalyseurs solides acides et basiques, micro- et mésoporeux) et procédés de synthèse, constituent quelques-uns des développements visant à comprendre les phénomènes catalytiques à l’échelle moléculaire, à améliorer la conception des catalyseurs et à en découvrir de nouveaux. Le caractère pluridisciplinaire de la catalyse est ici évident : elle fait appel à tous les types de chimie (chimie de coordination, organique et organométallique notamment, pour comprendre l’agencement local des atomes constituant le site actif), au génie chimique, à toutes les spectroscopies et à certains domaines de la physique (physique du solide, nécessaire pour comprendre des phénomènes non locaux comme certains transferts d’électrons, physique des surfaces pour concevoir et caractériser des catalyseurs modèles).
De plus en plus l’intégration des informations moléculaires fait des catalyseurs des objets de haute technologie. La subdivision classique entre catalyse homogène (réactifs, produits, catalyseurs et solvant font partie de la même phase) et hétérogène (le catalyseur constitue une phase séparée, en général solide, la réaction se produisant à sa surface) perd de sa rigidité, que des « sites catalytiques préfabriqués » soient déposés sur une surface (COMS), ou que l’on commence à réaliser le degré de structuration du matériau induit par des procédures de synthèse plus classiques. Les progrès récents, on le verra, permettent d’envisager de passer du stade d’une explication a posteriori des procédés qui fonctionnent, à un stade prédictif, celui d’une fabrication « sur mesure » du catalyseur pour une application bien définie.
Ce numéro spécial est né de l’envie de la division Catalyse de la SFC de présenter un ensemble de contributions représentant un « instantané » de la communauté catalytique française et de ses préoccupations. Il ne se veut pas exhaustif ; ainsi, tout le domaine de la catalyse enzymatique, province des biochimistes, a été laissé de côté, mais sera développé très prochainement dans la revue. Des procédés, des thèmes de recherche importants mais ayant fait l’objet d’articles récents dans L’Actualité Chimique, ont aussi été omis. Nous avons tenté de donner voix au chapitre aux principales écoles, aux points de vue complémentaires sur ce domaine si divers. Dans le cadre restreint d’un numéro de L’Actualité Chimique, cela nous a obligé à écarter de nombreux sujets potentiellement intéressants ; nous espérons que les collègues qui n’ont pu s’exprimer dans le cadre de ce volume auront à cœur de « rectifier le tir » en soumettant leurs contributions dans de prochains numéros. Au passage, signalons au lecteur que la division Catalyse a créé et maintient sur le site Internet de la SFC des « fiches catalyse » faisant le point sur des problèmes ponctuels, techniques ou des procédés.
Jean-François Lambert
et Élisabeth Bordes-Richard, coordinateurs