Rôle des matériaux et démarche de la science à la technologie
A l’ère de la « nouvelle économie » fondée sur le soft, le virtuel et l’immatériel, la matière, le matériel et les matériaux font figure, notamment auprès des étudiants, de vieilles lunes laborieuses et démodées, peu profitables et peu sujettes à des percées mirobolantes. Un concept capable d’émerger et d’envahir la planète en quelques semaines a toutes les séductions de la légèreté, de la fluidité et du brillant dont ne peuvent se prévaloir la lourdeur et l’inertie de la matière. Les concepts pour la comprendre et la maîtriser naissent, évoluent et se propagent sur des années. Quant au matériau, c’est-à-dire à la matière utile, l’échelle de temps pour son évolution est plus proche de la décennie que de la semaine avec la continuité dans l’effort, l’accumulation d’expérience et donc la très grande inertie qui en résulte. Bref, en premier examen, la science et la production des matériaux n’ont rien de ludique. Et en plus, l’espérance de profits rapides et importants est tout à fait vaine. Mais il ne faudrait pas oublier que la nouvelle économie n’existe que parce que les progrès des matériaux ont permis le développement des technologies de l’information et de la communication. Que seraient-elles sans les semi-conducteurs, les matériaux magnétiques ou les fibres optiques ? Sans parler des transports à l’échelle de la planète des personnes et des biens, permis par les progrès des performances mécaniques (caractéristiques et fiabilité) des matériaux de structure. Et ces progrès sont loin d’être achevés. Sur le long terme, l’investissement sur le matériel est le plus sûr, sous réserve d’une mise à l’heure permanente. L’avenir appartient à ceux qui auront su bien gérer le réservoir d’expérience et de compétences si long à remplir, mais heureusement si difficilement aliénable, que constitue la maîtrise des matériaux à travers leur conception, leur production et leur mise en oeuvre. Si on ne peut imaginer faire fortune individuellement en quelques mois avant d’avoir 30 ans dans ce domaine, on peut être certain que ce sont, collectivement, les pays qui en garderont la maîtrise qui peuvent être sûrs de leur avenir à long terme. Les grands pays aux technologies avancées l’ont compris et se gardent bien de lâcher la proie du matériel pour l’ombre du virtuel.
Le moment est le bienvenu de faire un état des lieux du « monde des matériaux », complet mais suffisamment condensé pour qu’il soit possible au lecteur éclairé mais non spécialiste d’en faire le tour dans un temps raisonnable.
La science des matériaux tend à comprendre, pour les maîtriser, les phénomènes qui aboutissent à des propriétés intéressantes. La finalité du génie des matériaux est de les choisir, de les produire et de les mettre en oeuvre pour réaliser des systèmes. Elles doivent toujours se développer sans solution de continuité entre science et génie des matériaux, afin de ne pas perdre de vue leur applicabilité, pour ne pas dire leurs applications. Le champ disciplinaire des matériaux, largement initialisé par les métallurgistes chimistes (Le Chatelier), longtemps cloi-onné entre spécialistes de cultures scientifiques différentes, est en train de s’unifier grâce au développement du dialogue interdisciplinaire, d’une part, et au décloisonnement entre les différentes classes de matériaux, nécessaires pour les associer entre eux en vue de réaliser la plupart des systèmes avancés.
Quelle démarche ?
La recherche de base menée en physique de la matière condensée, en chimie, en mécanique, mais aussi la recherche en génie des procédés, en thermique, en thermodynamique… ouvrent de nouveaux champs pour répondre aux questions issues des besoins du développement tech-nologique. Deux approches de sens contraires viennent se compléter :
• L’une partant des sciences de base, est susceptible d’apporter de nouvelles propriétés ou de nouvelles performances, autorisant de nouveaux développements technologiques non prévus initialement. On pourrait dire qu’il s’agit de « solutions qui cherchent des problèmes à résoudre ». Cette démarche est la plus habituelle pour les scientifiques et elle obéit à leur dynamique propre. C’est le « science push ».
• L’autre surgit de l’industrie et des besoins exprimés par le développement technologique. On cherche des maté-riaux plus spécifiques et/ou plus performants, ou bien à résoudre des difficultés surgies lors du développement ou de la production. Par symétrie avec le cas précédent, il s’agit de « problèmes cherchant des solutions », ce qui implique une planification de la recherche. C’est le « market pull ». La communauté scientifique doit être ouverte à ces deux démarches très complémentaires, bien que la seconde lui soit moins familière. Le schéma de la figure 1 peut résumer, à titre d’exemple, le développement de la métallurgie. Mutatis mutandi, il est transposable aux autres classes de matériaux. La principale question pour le concepteur d’un système est celle du choix des matériaux, à partir duquel il pourra procéder au dimensionnement des pièces et des dispositifs qui le constituent. Il s’agira de mettre au bon endroit le meilleur matériau, c’est-à-dire celui qui procure le comportement attendu au meilleur coût. Le choix optimisé des matériaux, leur assemblage entre eux et le contrôle de l’ensemble d’une part, la maîtrise de leur recyclage par des procédés propres d’autre part, sont des enjeux majeurs. Enfin, les grandes remises en cause (moins d’une par décennie) liées aux nouveaux concepts, peuvent rapidement procurer de nouvelles propriétés à l’origine des révolutions technologiques dont le passé a été riche. Les semi-conducteurs sont un exemple emblématique, les supraconducteurs, les quasicristaux ou les cristaux photoniques peuvent le devenir.