Chimiste et minéralogiste, destiné par son père au commerce, Charles Friedel devint scientifique grâce à son grand père et fut, à la fin du XIXe siècle, un propagandiste des idées modernes sur l’atomistique tant en chimie organique qu’en cristallographie.

Charles Friedel est né le 12 mars 1832 à Strasbourg, 11 rue de l’Épine. Il y passe toute sa jeunesse et fait ses études secondaires au Gymnase protestant. Excellent en lettres et en langues, il passe le baccalauréat de lettres en 1849, puis prépare le baccalauréat en sciences physique auquel il est reçu avec « distinction » en1850.

Cependant son père tient à ce qu’il s’initie au négoce : il tient ainsi le comptoir familial un certain temps, mais il est aussi inscrit à la Faculté des sciences de Strasbourg où il suit les cours de minéralogie de Louis Pasteur qui l’avait déjà remarqué lors du baccalauréat. C’est après la visite de son laboratoire et avec l’insistance de son grand-père, Georges Duvernoy (1777-1855), professeur à la Faculté des sciences de Strasbourg puis au Collège de France et au Muséum, que ses parents se laissent convaincre pour qu’il suive la voie scientifique. Il « monte » donc à Paris et en 1852 suit les cours du lycée Saint-Louis pour préparer le baccalauréat en Mathématiques qui vient d’être créé et le concours à l’Ecole Normale Supérieure. Après un échec, il y renonce autant par conviction (Napoléon III, après le coup d’état, exigeant un serment de fidélité à l’empereur des futurs enseignants) que par passion pour la minéralogie.

A la Faculté des sciences de Paris, la chimie le rattrape quand il entre en 1854 au laboratoire d’Adolphe Wurtz. Après la mort de son grand-père, il est choisi, en 1856, par Henri Hureau de Senarmont comme conservateur des collections de l’Ecole des Mines, et se marie la même année avec Emilie Koechlin, fille d’un industriel de Mulhouse. Il logera pendant plus de 20 ans avec sa famille dans les locaux de l’Ecole des mines en y poursuivant des études de minéraux. Cela ne l’empêche pas de soutenir sa thèse sur les aldéhydes et cétones en 1869, après des travaux en chimie organique où il se révéla comme le véritable second de Wurtz et comme lui fervent et ardent défenseur de la théorie atomistique. Plusieurs fois lauréat des prix de l’Académie des sciences, il reçoit la Légion d’honneur en 1869 avec un mot de félicitations de Louis Pasteur pieusement conservé.

Entre temps il s’est fait un grand ami américain, James Mason Crafts, qui, après Heidelberg est venu travailler à Paris chez Wurtz de 1861 à 1865. Ce dernier est nommé professeur à la toute jeune Université Cornell et y façonne un département de chimie sur le modèle européen, soutenu par de nombreux envois d’appareils et de substances chimiques expédiés de Paris. Il sera nommé au prestigieux MIT quelques années plus tard et en sera le président de 1898 à 1900.

Les heures sombres approchaient, son épouse Emilie qui lui a donné quatre filles et un fils souffre de la poitrine et, lors des hostilités de 1870, Charles laisse sa famille en sécurité à Vernex en Suisse. Après Sedan et la chute de l’Empire, Charles Friedel, qui préside alors la Société Chimique, se consacre à la défense de Paris. Il anime diverses commissions pour la conservation des viandes, la purification de l’eau, la collecte du salpêtre et se lance dans la fabrication d’explosifs et de canons. La Société Chimique de Paris organise une souscription pour fabriquer des canons modernes se chargeant par la culasse pour lutter contre les bombardements prussiens. Sans nouvelles lors du blocus, c’est seulement après l’armistice, début 1871, qu’il apprend, en route pour la Suisse, la mort de son épouse.

Il est nommé en 1871 maître de conférences en Minéralogie à l’École Normale Supérieure, en remplacement d’Alfred Des Cloizeaux, puis en 1876 à la chaire de minéralogie de la Sorbonne. Il y entretient et développe la magnifique collection et découvre des espèces nouvelles dont la « wurtzite », ZnS, dédiée à son maître. En 1884, lorsqu’Adolphe Wurtz décède, Charles Friedel demande la permutation pour prendre la chaire de chimie organique. Cette nomination se fait en décembre 1884 après d’âpres discussions, manœuvres sourdes et cabales, où la concurrence de la chimie organique avec la chimie minérale et la polémique sur la théorie atomistique dont Friedel était l’un des défenseurs eurent leur part. Il hérite d’abord du laboratoire de Wurtz dans les locaux provisoires de l’Ecole de Médecine, puis en 1896, lorsque les locaux furent reconstruits à la Sorbonne, il gardera ce petit laboratoire pour former des ingénieurs chimistes à l’industrie, d’abord sous le nom d’Institut de chimie appliquée puis Institut de chimie de Paris, à l’origine de l’ENSCP, actuelle Chimie-ParisTech.

Profitant des séjours réguliers de James Mason Crafts à Paris, de 1874 à 1891, leur collaboration se poursuit. Après la chimie du silicium, ils découvrent un peu par hasard l’effet catalytique du chlorure d’aluminium et l’appliquent au couplage d’un noyau benzénique et d’ un radical organique :
C6H6 + R—Cl ———> C6H5R + HCl

Cette réaction, connue des chimistes sous le nom de « réaction de Friedel et Crafts », est une des réactions clés de la chimie organique avec de nombreuses applications en synthèse de colorants et substances actives, mais aussi en raffinage pour le craquage des coupes lourdes du pétrole.

Charles Friedel participe entre 1856 et 1858 avec Adolphe Wurtz à la création de la Société Chimique de Paris, puis de France, dont il fut quatre fois président, en 1870, 1871 et en 1880, puis 1888. Il eut aussi le souci de renforcer les contacts entre les universitaires et les industriels. Il noua de nombreux contacts avec l’industrie et en particulier avec l’industrie alsacienne de son ami Auguste Sheurer-Kestner, et au sein de l’éphémère section de chimie industrielle.

Chimiste de premier plan, il fut aussi un minéralogiste de très grande qualité. Dès 1866, dans les locaux de l’École des Mines, il œuvrait, en contrepoint de son activité de chimiste, à la cristallogenèse sous pression. De gros cristaux de quartz, de feldspath, de calcite furent ainsi préparés, et il unissait chimie et cristallographie pour l’étude des défauts, des macles et des propriétés physiques. Avec Alfred Des Cloizeaux, il fonda la société de minéralogie en 1878, où chimistes, cristallographes, géologues et pétrographes trouvaient un lieu d’échanges et de progrès.

Remarié en 1873 avec Louise Combes qui donna naissance à Jean Friedel et soigna et s’occupa de ses autres enfants, il eut toute sa vie une passion pour l’activité physique, de grandes marches dans les Alpes et d’exercices au Gymnase Pascaud. Polyglotte (français, anglais, allemand) il choisit évidemment la nationalité française en 1872 lorsque les alsaciens durent, la mort dans l’âme, choisir. C’est en avril 1899, à l’orée du XXe siècle qu’il décède à Montauban où il avait l’habitude de prendre des vacances.

Pensée du jour
« {Il s’intéressait à tout et à tous, encourageait les jeunes initiatives, prodiguait à ceux qui le consultaient les trésors de sa science et de ses précieux conseils »
A . Lacroix, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences (1885)

Source
– Itinéraires de chimistes 1857-2007 : 150 ans de chimie en France avec les présidents de la Société Française de Chimie, EDP Sciences, éditeur, 2007, 199-203
– Jacques Friedel, Graine de mandarin, Odile Jacob, éditeur, 1994
www.impmc.upmc.fr/fr/institut/historique2/1876_jacques_friedel.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Friedel
http://annales.org/archives/x/cfriedel.html
http://chimie.scola.ac-paris.fr/sitedechimie/hist_chi/text_origin/friedel/friedel_crafts.htm http://en.wikipedia.org/wiki/Charles_Friedel
http://en.wikipedia.org/wiki/James_Crafts
http://fr.wikipedia.org/wiki/Réaction_de_Friedel-Crafts
http://en.wikipedia.org/wiki/Friedel-Crafts_reaction