Comme nous vivons désormais dans une société très urbanisée, que l’organisation de notre temps nous est au moins partiellement imposée, notre alimentation s’est aussi transformée, privilégiant les produits issus de l’industrie agro-alimentaire. Les investissements y sont très lourds, notamment par suite des exigences sanitaires qui protègent de mieux en mieux les consommateurs. En conséquence, la concurrence devient très forte.
Pour choisir ce que nous mangerons, et qui deviendra partie intégrante de notre corps, nous exigeons que le produit soit non seulement bon pour notre santé, mais aussi soit désirable, donc d’une couleur séduisante et qui nous semble « normale ». Et nos fournisseurs, maraîchers ou industriels, nous offrent les produits qui excitent notre imaginaire et répondent à nos critères conscients et inconscients : fruits et légumes sélectionnés pour leur aspect plutôt que pour leur saveur, saumon fumé d’un joli rose, sirop de menthe d’un vert franc (alors qu’il est naturellement incolore), etc.
D’où l’utilisation de colorants, que d’ailleurs nos grands-mères utilisaient spontanément en badigeonnant leurs brioches et leurs rôtis en croûte de jaune d’œuf afin de les rendre encore plus tentants. Ces colorants alimentaires sont largement utilisés dans notre quotidien, pour colorer les pâtisseries, les produits laitiers, les boissons, les confiseries, les excipients des médicaments, les charcuteries, le caviar, ou encore pour colorer les œufs de Pâques dans certains pays…
Il existe trois types de colorants alimentaires : les naturels (par exemple betterave, caramel), les colorants de synthèse fabriqués par l’industrie chimique mais qui existent à l’identique dans la nature, et les colorants artificiels, c’est-à-dire produits par l’art de l’homme et qui n’ont pas d’équivalents dans la nature (par exemple le bleu patente V). Les colorants alimentaires ont été d’origine naturelle jusqu’en 1850. Ils provenaient, pour la plupart :
– de végétaux comestibles : carotte (orange), betterave (rouge)… ;
– d’extraits d’origine animale ou végétale non habituellement consommées : rouge cochenille provenant d’un insecte d’Amérique centrale ({Coccus Cacti), stigmate de crocus ({safran)… ;
– du résultat de la transformation de substances naturelles : le caramel dont la coloration provient de la dégradation partielle du saccharose, brunissement de nombreux végétaux et viandes dû à la réaction de Maillard…
Les colorants alimentaires, sauf exception, sont des molécules organiques, les colorants minéraux (bleu de cobalt, jaune de chrome), présentant souvent une certaine toxicité.
Le groupe fonctionnel responsable de la couleur du colorant est appelé groupe chromophore. Ce sont des systèmes moléculaires très insaturés, polyoléfines, aromatiques, comprenant souvent des atomes d’azote, comme dans les diazoïques, etc. existant sous forme ionique. Ils absorbent certaines longueurs d’onde de la lumière, et apparaissent ainsi colorés. Dans les colorants utilisés, ils sont associés à un auxochrome, qui permet de les fixer sur le produit ; ce sont essentiellement des groupes acides ou basiques. C’est par leur caractère polaire, qui permet la formation de liaisons ioniques, que les auxochromes permettent cette fixation sur le substrat. Ils possèdent une autre propriété importante qui est d’amplifier la couleur, c’est-à-dire d’élargir la bande d’absorption de la lumière. Ces colorants pénètrent dans la masse de l’aliment, car ils sont solubles, soit dans l’eau, soit dans les graisses, toujours présentes.
Les anthocyanes, qui sont des anthocyanidines portant des sucres, sont présents uniquement dans les vacuoles des plantes et chez les champignons, mais ne sont pas trouvés chez les animaux. En général, ils apparaissent dans les fruits, mais aussi dans les feuilles et les racines. Ils appartiennent à la classe des flavonoïdes et sont principalement localisés dans les cellules des couches externes telles que l’épiderme. Ce sont eux qui colorent les fruits rouges et le raisin noir. Ayant des propriétés antioxydantes, les anthocyanes sont présents dans le vin rouge et sont supposés être responsables du fameux « paradoxe français » (un verre de vin rouge par jour protègerait les artères et diminuerait donc l’incidence des maladies coronariennes).
Les colorants alimentaires autorisés en Europe
Ils sont ajoutés aux aliments essentiellement pour les raisons suivantes:
– compenser les pertes de couleur dues à l’exposition à la lumière, à l’air, à l’humidité et aux variations de température;
– renforcer les couleurs naturelles;
– ajouter de la couleur à des aliments qui, dans le cas contraire, n’auraient pas de couleur ou une couleur différente.
Les colorants alimentaires autorisés en Europe sont dotés d’un numéro de code précédé de la lettre E et composé de trois chiffres dont celui des centaines est le 1.
Celui des dizaines correspond à leur couleur :
– 0 pour le jaune ;
– 1 pour l’orange ;
– 2 pour le rouge ;
– 3 pour le bleu ;
– 4 pour le vert ;
– 5 pour le brun,
– 6 pour le noir,
– 7 pour les colorants minéraux et
– 8 pour les colorants spéciaux.
Il est important de retenir que la répartition des colorants se fait dans la masse et reste stable contrairement aux pigments qui sont insolubles et colorent uniquement la surface sur laquelle on les applique.
Toutes les nuances de couleurs sont répertoriées dans le « Colour Index » où l’on retrouve les formules des colorants, leurs méthodes d’application ainsi que leurs propriétés. Les colorants artificiels sont ainsi classés en 10 rubriques et 6 sous-rubriques : les dérivés nitro, les dérivés du triphénylméthane, les xanthéniques, les dérivés de l’acridine, les dérivés de la quinoléine, les anthraquinoniques, les indigoïdes, les phtalocyanines, les bases d’oxydation et les azoïques (les précurseurs des azoïques insolubles, les pigments azoïques, les azoïques de type « solvants », de type « disperseur », les colorants monoazoïques avec groupe solubilisant et les diazoïques et triazoïques).
La sécurité de tous les colorants alimentaires autorisés dans l’Union européenne (UE) fait l’objet d’une évaluation scientifique rigoureuse, effectuée par les experts scientifiques du groupe ANS (Alimentation, Nutrition, Sécurité) de l’EFSA ; leurs résultats sont publics. Le règlement n° 257/2010 de la Commission établit un programme pour la réévaluation des additifs alimentaires (45 au total seront réétudiés d’ici 2015), en fonction des nouvelles données scientifiques accessibles et de diverses allégations concernant leur innocuité. A cette occasion, la dose journalière acceptable, DJA, peut être réévaluée. La DJA est la quantité d’une substance qu’un être humain peut ingérer chaque jour au cours de son existence sans risque notable pour sa santé. De ce fait, même si une personne dépasse la DJA pour une substance donnée, cela n’aura pas forcément d’effets négatifs sur sa santé.
Six colorants alimentaires ont été réexaminés en priorité en 2010. Pour trois d’entre eux : le jaune de quinoléine (E 104), le jaune orangé (E110) et le Ponceau 4R (E124)), la DJA a été réduite, sans modification pour les trois autres, la tartrazine (E 102), l’azorubine/carmoisine (E22) et le rouge Allura AC (E 129). L’ANS a notamment conclu qu’aucune preuve de l’existence d’un lien de cause à effet entre les colorants individuels et d’éventuels effets sur le comportement, notamment chez les enfants n’a été établi, contrairement à certaines allégations.
Des avis pour les colorants alimentaires des groupes 1 et 2, prioritaires, ont été émis le 15 avril et le 31 décembre 2010. Des nouvelles évaluations sont attendues pour les 31 juillet (E 131 et 170) et le 31 décembre 2011 (E32). Les avis pour le dernier groupe sont attendus fin 2015.
Colorants naturels, synthétiques et artificiels
Nous avons spontanément tendance à croire que ce qui est naturel est meilleur que ce qui est synthétique et dans ce cas, le produit de la vie, biologique, naturel, est perçu comme bon alors que le produit fabriqué par l’homme, synthétique, est perçu comme mauvais, voire dangereux. Lorsqu’il s’agit de colorants identiques au naturel, qui possèdent donc très exactement la même structure moléculaire que celui qui a été biosynthétisé dans la plante ou l’animal, la distinction n’a évidemment pas de sens. En vérité, ce n’est pas l’origine d’un produit qui détermine sa dangerosité, mais sa structure moléculaire ainsi qu’éventuellement la manière de l’utiliser, car il peut être dégradé, transformé, lors de la préparation de l’aliment (cuisson, macération, addition d’un acide : jus de citron, vinaigre…).
En réalité dans ce cas particulier le chimiste, dans son laboratoire ou dans son usine, ne fait donc que fabriquer par synthèse ce que la nature avait fait elle-même par voie biologique. La voie synthétique peut même présenter au moins deux avantages :
– elle permet de ne pas épuiser les ressources végétales et animales pour fabriquer des produits (cf. Vanilline), et de respecter la biodiversité ;
– les produits naturels ne sont pas purs, mais accompagnés d’autres substances qui peuvent parfois avoir des effets néfastes, contrairement aux produits synthétiques dont on pourra contrôler la pureté.
Il faut différencier les colorants synthétiques et les colorants artificiels qui, eux, n’existent pas dans la nature, car ce sont des molécules créées par l’homme pour répondre à des besoins nouveaux ou pour gagner en efficacité. C’est en 1856 que le premier colorant artificiel fut découvert par hasard par William Henry Perkin : la mauvéine, un dérivé de l’aniline contenu dans le goudron de houille. La mauvéine est en réalité le mélange de mauvéine A (majoritaire) et de la mauvéine B (minoritaire).
Mauveine-A|Mauveine-B
D’une manière générale, on peut s’interroger : l’addition de colorants alimentaires, qu’ils soient naturels, identiques au naturel ou synthétiques est-elle réellement utile, nécessaires ? Nos habitudes alimentaires, notre supposé plaisir, qui associent odeur, texture, et couleur, justifient-ils de prendre risques, même faibles ? Blanche-Neige, on le sait, n’a pas su résister à l’attraction d’une pomme bien rouge…
Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison
En faible quantité, tous ces produits, naturels ou non, sont très certainement innocents. Ils font d’ailleurs l’objet d’une réglementation très contraignante. A des doses très importantes, il peut en aller différemment, pour les uns comme pour les autres. Certaines personnes sont allergiques aux fraises, mais ce n’est pas dû aux composants chimiques qui les composent, cela vient de ses « poils » superficiels, comme dans le cas des allergies aux kiwis. Manger trop de raisin vous donnera divers troubles digestifs, et les anthocyanes n’en sont pas responsables ; si vous mangez trop de tomates, vous serez malades et le lycopène n’y est pour rien !
La dangerosité des colorants alimentaires est toute relative. C’est en réalité la nature chimique et son mode d’utilisation (la préparation de l’aliment) qui jouent sur les éventuels effets secondaires d’un colorant. Le principe de précaution doit toujours être manié avec … précaution !
Pensées du jour
« Ce qui est beau est-il toujours bon ?
Ce qui est bon doit-il être nécessairement beau ? »
Sources
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Colorant_alimentaire
– http://tpecolorants1s1.free.fr/
– http://colorants.aliments.free.fr/
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Safran_(épice)
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Anthocyane#Propriétés
– http://en.wikipedia.org/wiki/Colour_Index_International
– www.ineris.fr/ippc/sites/default/interactive/bref_text/breftext/francais/bref/chap_09.htm
– hwww.efsa.europa.eu/fr/topics/foodcolours.htm?wtrl=01
– www.europa.eu/fr/faqs/faqcolours.htm
– L’Homnivore, Claude Fischler chez Odile Jacob poches (n° 43) 2001
– La chimie et l’alimentation, EDP Sciences et L’Actualité Chimique Livres, 2010
– Produits chimiques et environnement, Académie des technologies 2011, à paraître