Cet hydrocarbure linéaire insaturé, est un triterpène, C30H50, c’est-à-dire qu’il est constitué de 6 unités isoprènes, toutes en conformation trans (cf. Isoprène, Limonènes). Il est, comme tous les terpènes, formé à partir du pyrophosphate d’isopentyle, IPP, qui se couple avec le pyrophasphate de diméthylallyle DMAPP, pour fournir successivement les pyrophosphates de géranyle, GPP, puis de farnésyle, dont deux molécules se condensent après réduction par le NADPH pour former du squalène sous l’action de la squalène synthase (ou SQS). Chez l’homme, cette enzyme, constituée de 417 aminoacides, codée sur le chromosome 8, est intégrée dans le réticulum endoplasmique. Chez les végétaux et de nombreux microorganismes, cette voie coexiste avec d’autres voies métaboliques conduisant au phytoène, précurseur de la chlorophylle (cf. Chlorophylle), de pigments caroténoïdes (cf. Colorants alimentaires) et des terpènes dans les latex (cf. Caoutchouc).
Au tout début de la vie sur Terre, il y a environ 3,5 milliards d’années, d’abord les microbes, puis, au cours du Précambrien, les parois cellulaires des organismes plus complexes contenaient de grandes quantités de squalène, vraisemblablement nécessaire à leur survie dans une atmosphère pauvre en oxygène. On sait, en effet, que le squalène est capable d’absorber le dioxygène (cf. Dioxygène), de manière physiologiquement significative uniquement chez les squales (environ 85 % de la masse du foie). A noter également, que les nouveaux-nés humains possèdent des quantités relativement abondantes de squalène dans le sang, et que cette concentration dans le corps diminue à partir de 30-40 ans… mais nettement moins chez les sportifs de haut niveau.
Le squalène est de longue date, notamment au Japon, utilisé comme complément alimentaire. C’est d’ailleurs un chimiste japonais, Mitsumaru Tsujimoto, qui l’a découvert en 1906 et a déterminé sa structure en 1916. Il est considéré comme un antioxydant efficace, doté de nombreuses vertus dans les médecines naturelles. Mais attention, le foie accumule de nombreux composés toxiques, comme les métaux lourds (dont le mercure, cf. Mercure) et autres toxines liposolubles… Parmi ses utilisations classiques, on trouve la cosmétique, quoique l’on y utilise plus couramment son dérivé hydrogéné, le squalane, qui ne s’oxyde, donc ne rancit, pas. La société Sophim vient de recevoir le prix Pierre Potier, pour la valorisation des co-produits du raffinage d’huiles végétales, squalène, vitamine E…
Associé à des adjuvants, stimulants du système immunitaire, le squalène a été, et est toujours, utilisé dans certains vaccins: sous forme d’émulsion « huile-dans-l’eau », il joue un rôle de tensioactif, augmentant ainsi la réponse du vaccin.
On l’utilise dans les vaccins expérimentaux ciblant des virus émergents, comme H5N1 et H1N1, mais surtout en association avec les antigènes de la grippe saisonnière, dans la composition des 22 millions de doses administrées depuis 1997 (le MF59 à raison de 10 mg par dose de Fluad®), sans réactions post-vaccinales sérieuses.Un nouvel adjuvant à base de squalène, AS03, autorisé en Europe depuis 2008 pour les vaccins de la grippe pandémique et pour lequel on ne dispose pas d’un recul important, fait l’objet d’une pharmacovigilance renforcée.
L’addition d’adjuvants, squalène ou sels d’aluminium (utilisés depuis 1926), est actuellement nécessaire pour certains vaccins qui, inactivés ou sous-unitaires, ne contiennent pas les signaux de danger permettant au système immunitaire de mettre en œuvre les mécanismes de défense appropriés. Elle évite le recours à des injections répétées pour assurer une bonne protection.
Le squalène a cependant été accusé d’être responsable du « syndrome de la guerre du Golfe », car chez 95 % des vétérans qui en souffraient, des anticorps anti-squalène ont été détectés. Selon le Comité consultatif mondial pour la sécurité des vaccins, de multiples études n’ont permis ni de statuer sur une éventuelle responsabilité du squalène dans les symptômes observés, ni même sur sa présence frauduleuse (car non autorisé par la Food and Drug Administration) dans le vaccin incriminé, celui contre le charbon. En fait, on a découvert à cette occasion que presque tous les êtres humains produisent des anticorps anti-squalène, ce qui n’est pas étonnant vu l’ubiquité de la molécule, notamment dans les végétaux et même (moins de 1 % cependant !)dans l’huile d’olive (cf. Acide oléique).
Le couplage chimique du squalène avec des analogues nucléosidiques constituera un progrès considérable dans le traitement de certains cancers ou dans des maladies virales type VIH. Cette technique originale, mise au point par Patrick Couvreur, est appelée « squalénisation ». Ces composés ont la propriété de former spontanément, en milieu aqueux, des nanoparticules pouvant être administrées par voie intraveineuse : ils favorisent la pénétration intracellulaire des nucléosides, facilitent leur passage transmembranaire et les protègent d’une métabolisation trop rapide. Co-précipités avec du polyéthylène glycol couplé au squalène, ces analogues nucléosidiques « PEGylés » conservent leur faculté d’autoassociation ; stabilisés par une couche du polymère, ils se révèlent jusqu’à plus de 10 fois plus actifs sur des modèles animaux.
Le squalène comme son dérivé époxydé sur la double liaison terminale possèdent la propriété de se transformer, par la grâce d’enzymes spécialisées (les cyclases), et de manière remarquablement régio- et stéréosélective, pour former des triperpènes polycyclique d’une grande variété structurale : hopène et diploptérol, chez les eucaryotes et tétrahymanol chez les protozoaires (triperpènes pentacycliques) ; lanostérol chez les levures, les champignons et les mammifères et cycloarténol chez les végétaux (triperpènes tétracycliques).
Tous exigent une conformation particulière du squalène lors de la cyclisation, assurée par la structure de la cavité active de la cyclase.
Quant à ces triterpènes, vous en saurez un peu plus dans un prochain numéro de vos « Produit du jour ».
Pensée du jour
« Squalène par ci, squalène par là, être un ancêtre de stéroïdes, ce n’est pas une sinécure ! »
Sources
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Squalene
– http://en.wikipedia.org/wiki/Lanosterol
– R. Morfin, Ed. Les stéroïdes naturels, Tec&Doc Lavoisier, 2011.
– http://www.who.int/vaccine_safety/topics/adjuvants/squalene/questions_and_answers/fr/index.html
– La chimie et la santé, EDP Sciences et {L’Actualité Chimique Livres Ed., 2010, pp. 107-124
– M. Pelligrini, U. Nicolay, K. Lindert, N. Grotha, G. Della Cioppa: MF59- adjuvanted versus non-adjuvanted influenza vaccines: Integrated analysis from a large safety data base, Vaccine 2009, 27, 6959-6965.
– R. Gref, P. Couvreur, {L’Actualité Chimique 2011, 353-354, 88-91.
– http://lipidlibrary.aocs.org/Lipids/hopanoids/index.htm
– http://www.gps.caltech.edu/~wfischer/pubs/Fischer&Pearson2007.pdf
– http://chemistry.umeche.maine.edu/CHY431/Squalene1.html
– http://static.msi.umn.edu/rreports/2003/111.pdf
– http://www.sophim.com/htmlfr/fsqualene.html
Pour en savoir plus
– Testostérone
– Cholestérol
– Vitamine D
– Isoprène
– Limonène
– Chlorophylle
– Colorants alimentaires
– Caoutchouc
– Mercure
– Acide oléique
– Dioxygène