Et si aujourd’hui on vous racontait une histoire ?
Déjà depuis l’Antiquité, Pline met en garde les vignerons contre l’usage des tonneaux en if pour garder le vin. On empêche toujours les animaux d’élevage de goûter aux feuilles d’if dont les aiguilles sont toxiques contrairement aux petits fruits rouges consommés par les oiseaux.
En 1962 Arthur S. Barclay met en évidence qu’un extrait brut de l’if du Pacifique montre une activité cytotoxique importante sur les cellules. Le principe actif extrait de l’écorce séchée est identifié sous le nom de Taxol et sa structure déterminée en 1971 par Monroe E. Wall et Mansukh C. Wani. La remarquable activité anti-tumorale de la molécule est élucidée au cours des années 80. C’est par inhibition de la dépolymérisation des microtubules par formation d’une liaison stable à la tubuline qu’elle bloque la division cellulaire.
Des résultats intéressants sont observés pour les cancers du sein et de l’ovaire, mais la grande difficulté restait son approvisionnement, car le rendement à partir de l’écorce d’if est faible. Il a fallu traiter 8 t d’écorce séchée pour obtenir 1 300 g de Taxol. A moins d’éliminer toutes les forêts d’if d’Amérique, il était impossible d’obtenir des quantités compatibles avec les traitements du cancer à grande échelle : de quoi faire frémir les écologistes américains avec des raisons opposées (les hommes contre cette décimation d’arbres, les femmes pour un médicament efficace contre le cancer du sein) !
Le défi scientifique est relevé par des centaines d’équipes de par le monde, dont une équipe française de l’Institut de Chimie des Substances Naturelles du CNRS à Gif sur Yvette. Dirigée par Pierre Potier, chimiste et pharmacien, elle a la chance de disposer fin 1979 d’une grande quantité d’aiguilles d’if européen (Taxus baccata). Après coupe, broyage et extraction de ces aiguilles, l’équipe entreprend une hémisynthèse qui aboutit à une substance modérément active au test de la tubuline. Elle diffère du Taxol par sa chaîne latérale. L’équipe entreprend alors le greffage de cette chaîne latérale et si cela ne donne pas le produit attendu, les chimistes obtiennent un produit bien plus actif que le Taxol.
Pour lancer les tests et montrer au partenaire Rhône-Poulenc l’avantage de cette molécule, il faut en préparer 100 g. Toute l’équipe part des journées entières à la cueillette d’aiguilles de Taxus baccata et ramène jusqu’à une tonne de sacs d’aiguilles qui, après extraction et réactions chimiques en laboratoire, conduit à ces fameux 100 g. Les essais toxicologiques sont bons et le partenaire met au point le procédé industriel.
Les essais cliniques débutent en 1990 en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, qui confirment la bonne activité anticancéreuse. L’autorisation de mise sur le marché est obtenue en 1995. Et depuis plus de 15 ans, des millions de malades ont été traités par le Taxotère®.
A force de persévérance et d’imagination, il aura ainsi fallu à l’équipe du CNRS et à Pierre Potier plus de quinze ans à partir des premières recherches sur l’if pour aboutir à la mise au point de ce principe actif de médicament anti-cancéreux.
Dédiée à Pierre Potier (1934-2006)
La Pensée du jour
Pierre, déjà 5 ans de musique sans solfège